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¡ Qué bonito es mi pueblo !

 

En espagnol, un seul mot, « pueblo », signifie à la fois peuple et village. C’est pratique. Mon village ? Paris ! Mon peuple ? Kif-kif. Pas que. Y’a aussi de l’Ibère et du Yankee dans mon arc-en-ciel perso. J’ai le peuple diversifié, et le chauvinisme élargi, c’est bien pratique. En fait les autres peuples, tous autant qu’ils sont, m’enthousiasment pareillement. Ils me touchent de moins près mais ça n’empêche pas les sentiments. D’ailleurs, les Jeux, ça ne raconte rien d’autre : humanité et amour partagé. Je suis contente de mon peuple et ravie des autres. C’est l’idée des Jeux, au-delà de ce que Coubertin, corseté dans les préjugés de son temps, avait été capable d’imaginer.

Sur les réseaux sociaux, il se dit que les grincheux auraient quitté Paris, et que ça expliquerait la liesse qui s’est déversée dans les rues de la capitale. Je m’inscris en faux. Je ne suis pas une grincheuse, et j’ai quitté Paris. Il se trouve que je passe toujours l’été dans mon autre pays, JO ou pas. Et comme j’ai une voisine qui a la télé, je n’ai pas boudé mon plaisir. J’ai même loupé la plage pour certaines épreuves, c’est dire mon niveau de vénération pour la chose olympique. Pas de grincherie dans cette affaire. Juste des gens qui ont la chance de pouvoir partir. J’en fais partie parce que l’exil de mes parents n’a pas engendré que du négatif, il m’a fait cadeau de plusieurs pays d’appartenance. C’est un privilège, je le savoure. Il a coûté assez cher à d’autres que moi.

Lundi, les Jeux sont finis. Pas tout à fait, puisque les Paralympiques débarquent très bientôt. La joie se déversera-t-elle de nouveau sur le pavé parisien ? Espérons-le.

La cérémonie d’ouverture fut exceptionnelle. Ce soir-là, l’émerveillement et la beauté ruisselèrent autant que la pluie. Soit dit en passant, cette pluie ne fit qu’ajouter à la magie ambiante. L’eau du ciel est familière aux Parisiens. Elle avait sa place dans la célébration. Ce fut grandiose, le talent des artistes à la hauteur de la splendeur de la ville.

Après deux semaines en compagnie de ces êtres de passion, de force morale, de perfection physique, d’exigence, de beauté, de courage que sont les athlètes de haut niveau je me sens étourdie et reconnaissante. Admirative, aussi. Je suppose que nous en sommes tou·te·s au même point.

Et aussi, je me suis sentie fière d’en être, de la communauté la plus râleuse qui soit, et aussi la plus gâtée, j’ai nommé les Parisien·ne·s. Mi pueblo, donc. Regarder la France de l’extérieur permet de constater le prestige qui est le nôtre. Nous vivons dans un pays génial, il faut en être conscient·e·s. Ce n’est pas de l’autosatisfaction, c’est du réalisme. Il y a beaucoup à faire ? Ça tombe bien. L’excellence, c’est notre rayon. Par exemple, il faudra laisser revenir à Paris les sans-logis qui en furent chassés et enfin tenir la promesse électorale de 2017. Un problème ça se résout, ça ne se cache pas sous le tapis.

Pour en revenir à la liesse, le plus spectaculaire est le changement de statut des femmes. Époustouflant. Ce qui était impensable il n’y a pas si longtemps est apparu comme une évidence : des Jeux paritaires. Du jamais vu avec des conséquences extraordinaires. Tout a changé : le temps de présence à l’écran, la reconnaissance de leurs capacités, le respect dans le ton quand on parle d’elles, l’enthousiasme du public. Tout apparait spontané, familier, à la fois différent et complètement naturel. Comme quand une réforme coïncide tellement à l’air du temps qu’on a la sensation de n’avoir jamais rien connu d’autre. Est-ce seulement l’effet du nombre, ou bien la perception du féminin est-elle bouleversée ? Peu importe. Ce qui compte, c’est que les femmes ont conquis leur légitimité. Ça a pris du temps, mais l’hommage qui leur a été rendu, aussi bien aux sportives qu’à celles qui ont fait avancer la cause au cours de l’histoire, signe un changement d’ère.  

En point d’orgue de cette joyeuse révolution, à la fin de la cérémonie de clôture, un moment aussi magnifique que symptomatique : les mairesses de Paris et de Los Angeles réunies sur la scène du Stade de France. L’une, d’origine espagnole (bon cru, et je m’y connais) passe à l’autre, Noire Californienne, le drapeau olympique. Relais entre deux femmes puissantes. Inimaginable hier, un fait dans le quotidien d’aujourd’hui.

Pourtant, juste après, comme pour nous rappeler qu’il faut veiller au grain, la juxtaposition de deux images vient calmer le jeu :

Après deux semaines exaltantes à jubiler, ces images font l’effet d’une gifle. On nous flashe des rappels à l’ordre machiste, histoire de nous rappeler qu’il ne dort que d’un oeil. Ces femmes, la danseuse et l’athlète, sont les deux faces de la même soumission séculaire à la loi des mâles. Pour nous rappeler qu’ils nous tiennent en laisse, et qu’ils en fixent la longueur ? Dans leurs rêves sans doute. Leur temps s’achève.

Le nôtre est venu.

12
Aoû 24


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