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Sur les routes
Le dernier texte que j'ai publié sur ce site date du mois de mars, et nous sommes en octobre. Sept mois de silence sur un site, ça fait beaucoup, je vous l'accorde. Je vous dois une explication. Vu la saison, je ne peux pas prétendre que j'hibernais comme un ours ou une marmotte. Disons que j'estivais, puisqu'après le printemps tout l'été y est passé, et voilà l'automne largement entamé. Demain c'est l'heure d'hiver, faut que je me réveille! N'allez pas croire pour autant que je me tournais les pouces, doigts de pied en éventail et esprit en goguette. Enfin si, je ne vais pas vous la jouer Cosette, mais je n'ai levé le pied que brièvement, en petites pauses avant de revenir à l'essentiel. J'ai passé ces mois en compagnie d'une de mes êtres humains préférés, parti le 7 janvier, pas tout seul, salut Charlie,
faire un tour au paradis. Mon père.
J'ai pris la liberté, ça t'apprendra, papa, à m'en avoir donné le goût, de m'inspirer de tes tribulations passées pour écrire un roman. J'avais commencé il y a des années, timidement, comme on pousse la porte d'un jardin interdit, à t'emprunter ton "je", à me l'approprier. Je prenais mon temps, musardais en chemin. Quand tu n'as plus été là, c'est devenu ma priorité, mon urgence. Mon devoir de mémoire. Ton histoire est une parmi des milliers, des millions d'autres, celles des républicains espagnols. Je me suis servi de ce que j'en sais, ce que j'en devine, ce que tu m'en as dit, ce que tu m'en as écrit. J'ai recherché, j'ai imaginé, j'ai inventé au plus près, au plus fidèle. Ce livre, je te devais de le finir.
Pendant tout ce temps ton histoire occupait (et occupe toujours) mon esprit, elle tournait en permanence, à la manière des pizzas arc-en-ciel qui s'affichent sur mon écran quand il cherche ou qu'il beugue. Parfois je lève le nez du clavier, pour jeter un oeil sur la Toile, prendre la température du monde. Des réfugiés fuient la violence, la répression, la mort. Ils partent à pied, loin de chez eux. Quittent leur pays. Espèrent en la solidarité, l'empathie, la générosité. Parce que ce qui leur arrive est au delà du dégueulasse. L'Histoire bégaye, empiète sur mon sujet. Les réfugiés espagnols de 1939 étaient en noir et blanc. Ceux de 2015 sont en couleurs. Ils sont Syriens, Irakiens, Erythréens, entre autres... Je les vois et je vois ma mère, mon père. Les miens. Mon peuple. Exactement ce sur quoi j'écris. L'Europe a oublié, n'a rien appris. Vae victis.
Tu n'es plus là pour voir ça papa. Et tu ne liras pas mon livre. C'est à l'ombre de ta force, à l'abri de ton inexpugnable résistance que je viens me réfugier. Vaincu tu l'as été. Enfermé aussi. Asservi, jamais. Marcher dans tes pas, sur tes traces. Continuer à écrire ton histoire, parce qu'elle est la nôtre, à tous. Celle du peuple des routes, de l'exil, des barbelés. D
e la liberté arrachée. De la mémoire pour drapeau. Un peuple en marche.
Mon roman raconte tes premières années, papa,
celui que tu fus très longtemps avant ma naissance, de Valence à Madrid, de la République proclamée le 14 avril 1931 à la guerre civile déclarée le 18 juillet 1936, de la Maison du Peuple de la
calle Piamonte au Camp de concentration de la plage de Saint Cyprien.
Rendez vous le 4 février aux Editions Héloïse d'Ormesson.
En attendant, je vais tâcher de nourrir ce site comme il convient par ces temps de nauséabondes turbulences, mais aussi, si, si, de solides espérances.
Pour conclure, les dernières lignes de "L'exil est mon pays", paru en 2006, disent, si besoin était, la pérennité des transhumances : "...
je me suis découvert des millions de compatriotes. Apatrides, cosmopolites, persécutés, expulsés, arrachés, déracinés, émigrés, réfugiés, transplantés, greffés, rejetés, assimilés, intégrés, digérés, disparus... Je marche aux côtés de tous les vaincus de la terre, chassés par les caïns éternels sur les routes sans fin de la défaite. Ces routes, je n’y ai jamais mis les pieds et quiconque m’observerait, déambulant dans une rue parisienne, humant l’air du temps, guettant d’un œil expert les nouveautés des boutiques, ne verrait qu’une bourgeoise en goguette et un exemple encourageant d’intégration réussie. Les escadrons de l’exil qui campent la nuit dans mon esprit ne sont pas visibles à l’œil nu. J’ai passé des années à les cacher pour faire semblant d’être comme tout le monde. Mais moi je suis du pays des étrangers, des exilés. Les miens. L’exil est mon pays".
Espace commentaire
José Marrón - Le 25/10/2015 à 18:33
Es una época que visito actualmente en la memoria de los que han escrito sobre el tema o sobre los testimonios de los que vivieron los episodios amargos (La Retirada, los campos de concentración de las playas de Collioure, Argélès, Rivesaltes, los campos de trabajo, el maquis en Francia, el transahariano, la División Leclerc, la Nueve, etc.) He vuelto a leer Los soldados de Salamina, Pas pleurer, etc. Estoy seguro que el libro que estás preparando será un éxito.
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Annie Collin - Le 25/10/2015 à 21:24
Je vous reconnais, Vincent et toi, sur la photo de ton pére. Bravo pour ton travail.
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