A cet échec, il y a eu certainement des causes politiques : chez Clinton, le fait qu’elle ait assez mal mené sa campagne, négligé certains états-clés, sous-estimé l’importance de l’internet dans une campagne moderne, son attitude paternaliste envers les noirs, les interventions maladroites de son mari, son vote pour la guerre en Irak, le fait qu’elle ait insisté sur son expérience, ce qui l’a fait apparaître comme la candidate du passé face au changement revendiqué par Barack Obama. Et finalement, son propre « sense of entitlement »—le fait que, donnée gagnante de la nomination démocrate au début de la campagne et considérant que cette nomination lui revenait de droit, elle ait sous-estimé l’outsider de l’Illinois, plus jeune, moins expérimenté mais moins politiquement usé qu’elle, qui l’a battue au finish.
Mais surtout ces échecs posent la question du poids que la rémanence d’un sexisme viscéral et irréductible a pu avoir sur le résultat de ces élections. Ce qui amène à poser la question : étant donné la persistance de préjugés sexistes apparemment indéracinables, est-ce que ces deux femmes avaient de vraies chances de gagner, est-ce que la France et les Etats-Unis étaient vraiment prêts à accepter une femme comme président ?
Peut-être la France, pourtant imprégnée de machisme latin, l’était-elle davantage ; en tout cas, le déversement de sexisme, inévitable lorsqu’une femme prétend accéder à une position de pouvoir jusque-là réservée aux hommes, a été plus discret, moins virulent, moins « premier degré » en France qu’aux Etats-Unis. A part le « qui va garder les enfants ? » de Fabius, et les références à Bécassine, finalement assez light, il n’y a pas eu vraiment d’attaques frontales contre la candidate socialiste, on est resté dans le subtil, l’allusif et le crypté, alors qu’Hillary Clinton a du essuyer un tir de barrage de haine misogyne pendant toute la durée de sa campagne.
La violence inouïe de ces attaques a d’ailleurs été un réveil pour les américaines trop optimistes qui croyaient être entrées dans l’ère post-féministe et pensaient en avoir fini avec le machisme néanderthalien. Juste un petit échantillon pour donner une idée de l’odeur de champ d’épandage qu’ont dégagé les medias US pendant la campagne des primaires : en plus de l’inévitable bitch (garce) et de ses variantes « big fucking whore » (grosse pute), « madam » (mère maquerelle), Clinton a été qualifiée de « cunt » (difficilement traduisible en Français, cunt est un mot très péjoratif référant au sexe féminin). Dans un champ sémantique différent mais tout aussi prévisible, elle a été stigmatisée de « castratrice », « frigide », « diabolique » (a she-devil), « lesbo » (dyke), « mégère » (nag), « Soeur Frigidaire » incapable de faire une bonne fellation, froide, une mère dominatrice cauchemardesque. « Quand je vois Clinton à la télé, déclare Tucker Carlson, journaliste à la chaîne MSNBC, je croise instinctivement les jambes » (when Clinton comes on tv, I unvoluntarily cross my legs).
Contradictoirement, elle a aussi été caractérisée comme une petite fille pleurnicheuse (crybaby-in-chief) qui aime jouer les victimes, crie « sexisme » dès qu’on devient méchant avec elle et qui cherche à accéder à la Maison Blanche en apitoyant les gens (can Hillary cry her way to the White House ?, interroge Maureen Dowd, éditorialiste du New York Times), ce qui prouve qu’elle n’est pas assez coriace pour le job.
Les mêmes medias lui ont reproché d’être insuffisamment féminine, « grinçante » (screechy), « stridente » (shrill), sa voix serait irritante comme le son des ongles raclant un tableau noir, c’est une mauvaise mère, « un monstre qui ne veut pas mourir » (a monster that just won’t die). En fait, ce qu’elle pourrait faire de mieux, c’est de mourir ! Car elle est trop âgée, c’est « une femelle vieillissante et aigrie » (an aging and resentful female). Rush Limbaugh, animateur du « Rush Limbaugh Show » et commentateur de droite ultra-virulent, a posé la question : "est-ce que les électeurs ont vraiment envie de voir une femme vieillir sous leurs yeux à la Maison Blanche ?" Quarante-trois présidents masculins ayant vieilli sous leurs yeux à la Maison Blanche ne leur ont apparemment pas posé problème. Hillary Clinton, c’est "votre première femme qui vous attend devant le tribunal des divorces" (everybody’s first wife standing outside probate court), « une vieille rosse finie » (a washed up old hag), « une vieille sorcière gloussante » (a cackling old witch). Elle est dominée par ses émotions et ses sautes d’humeur, c’est une hystérique, elle est folle à lier—des medias hostiles à la candidate démocrate ont systématiquement choisi, pour illustrer des articles la concernant, des instantanés d’elle où elle grimaçait, roulait les yeux, avait un air hagard ou halluciné.
Et, horreur, elle a des SEINS ; imaginez le chef suprême des armées de la puissante Amérique commandant des durs, des tatoués, des Marines, avec des SEINS ! Pire, Clinton a un VAGIN ; d’ailleurs, les femmes qui votent pour elles votent avec leur vagin, pas avec leur cerveau, et parce que c’est une « fellow vagina-American » (une collègue vaginale-américaine). Evoquant l’autre femme politique du camp démocrate, Nancy Pelosi, première femme à occuper le très important poste de Speaker of the House, Chris Matthews, journaliste animateur de l’émission « Hardball » sur MSNBC, pose la question : « est-ce que Washington est assez grand pour deux vagins ? » (is Washington big enough for two vaginas ?)
Les hommes qui votent pour elle sont des « castrés dans le choeur des eunuques » (castratos in the eunuchs’ chorus, de nouveau Chris Matthews), sa campagne électorale est « un crépage de chignon » (a catfight), elle hait les hommes et compte sur le soutien de « vieilles féministes affreuse » (ugly old feminists) pour être élue mais elle n’a jamais rien fait par elle même et s’est toujours cachée derrière son mari, qui la tient en laisse comme un caniche. Haro sur Hillary, à la niche Hillary ou, comme une paire d’épais crétins l’avaient inscrit sur le panneau qu’ils agitaient fièrement devant les caméras de télévision à l’un de ses meetings : « iron my shirt ! » (repasse ma chemise !).
A côté de cette misogynie primaire, obtuse et sans complexe, il y a aussi un sexisme plus subtil, moins facilement identifiable, plus vicieux parce qu’apparemment non haineux, sympathique, voire complice. Quand Laurent Fabius interpelle Ségolène Royal avec son fameux : « qui va garder les enfants ? », tout le monde comprend bien de quoi il s’agit : cette question est perçue à juste titre comme l’injonction d’un mâle dominant à une femme ayant l’audace de s’aventurer sur ses plate-bandes : vous êtes une femme et une mère avant tout, rentrez à la maison et laissez la politique aux hommes.
Quand, par contre, une jeune étudiante américaine demande à Hillary Clinton si elle préfère les diamants ou les perles, cela se reçoit comme une question frivole préparée par une jeune fille sans cervelle mais gentille et exprimant un degré de sympathie et d’intérêt pour Hillary. L’étudiante en question, Maria-Luisa, a rapporté ensuite que la chaîne d’information CNN lui avait demandé de préparer des questions sérieuses et des questions fun et légères, et que la question sérieuse qu’elle avait posée sur un site de déchets nucléaires avait été écartée par la chaîne, qui n’a gardé que celle sur les diamants et les perles. Néanmoins, cette question et celle de Fabius trivialisent pareillement Ségolène et Hillary et, ramenant les deux candidates aux préoccupations obligatoires des femmes—enfants, beauté, parure—elles les décrédibilisent politiquement en les réduisant à leur seule féminité.
Le sévère rappel à l’ordre de Fabius comme la niaiseuse complicité féminine de Maria-Luisa remplissent en fait des fonctions identiques : d’un coup de poing ou d’une pichenette, il s’agit de pousser la candidate dans LE piège sexiste par excellence, la double injonction contradictoire. « N’oublie pas d’être une femme ! » dit à la femme politique le bon vieux patriarcat par une de ses mille bouches, celle de Fabius ou de Maria-Luisa. D’accord, dit la candidate, effrayée d’encourir une réprobation unanime, de déplaire, de ne pas être aimée, que sais-je ; je vais faire des concessions et me donner du mal pour respecter le cahier de charges imposé au deuxième sexe. Toute contente, elle se dit que cela a des bons côtés : elle va pouvoir porter des jupes, des blouses en soie, poser en photo avec son bébé, qui sait même rejeter gracieusement la mèche qui lui tombe sur l’oeil ou s’esclaffer comme une gamine, en tout cas elle ne sera pas forcée d’endosser l’uniforme rébarbatif de la femme politique, l’éternel tailleur-pantalon, et elle pourra se dispenser d’adopter l’allure martiale de la ministre-virago style MAM.
Et donc elle ose « exprimer sa féminité » aux yeux de tous et non juste dans l’intimité pour le seul bénéfice de son compagnon. Elle ose des tuniques flottantes, des créoles, des cheveux longs et ondulés.
Halte-là, disent alors les machos de garde, vous êtes incontestablement féminine, mais comme une femme, une vraie, est par définition inapte à exercer le pouvoir, vous ne pouvez accéder à la magistrature suprême. Une femme féminine comme président, pensez donc : trop coquette, elle décalerait le sommet du G20 pour un brushing en vitesse chez son coiffeur, trop émotive, elle piquerait des crises de larme au moment d’envoyer des renforts en Afghanistan, trop influençable, elle se laisserait enjôler par le look 007 de Poutine ou le vibrato troublant de la voix de baryton d’Obama. Et c’est comme ça qu’on se retrouverait avec des dizaines de bases militaires américaines ou russes installées en territoire français.
La candidate refuse t’elle de se laisser entraîner sur ce terrain, arguant du fait que l’on ne demande pas à un candidat de sexe masculin si sa progéniture est convenablement babysittée ou s’il préfère les slips ou les caleçons ? Ose t’elle protester haut et fort contre le sexisme des medias ? On l’accuse alors d’être en colère (angry), hargneuse, stridente, on lui reproche sa voix qui monte dans les aigus. La stridence est, avec l’hystérie, un reproche tellement typique fait aux femmes politiques que certaines d’entre elles—Margaret Thatcher entre autres—auraient eu recours à un coach vocal pour poser leur voix dans les graves.
Rien n’a changé : la notion qu’une femme politique puisse accéder au leadership de haut niveau sans se masculiniser est illusoire. Jusqu’à présent, pratiquement toutes celles qui y ont réussi l’on fait—Golda Meir, Thatcher, Merkel—cette masculinisation s’accompagnant souvent d’une tentative de féminiser leurs adversaires masculins (ce qu’a fait Clinton avec Obama). Et le brio jubilatoire avec lequel Thatcher humiliait les députés du Labour lorsqu’elle répondait à leurs questions à la Chambre des Communes s’apparentait tellement au comportement d’une dominatrice chevronnée qu’on s’attendait à entendre claquer un fouet.
Le jour où des journalistes masculins vous décernent une paire de couilles symboliques et vous donnent une carte de membre honoraire dans le club très fermé des sévèrement burnés, vous savez que vous êtes prête pour la présidence : James Carville a ainsi accordé un tel brevet de « vir emeritus » à Hillary quand il a déclaré que « si elle donnait une de ses couilles à Obama, ils en auraient deux chacun »—dommage pour Hillary que la majorité des Américains ne pensent pas comme lui. Résultat immanquable de cette promotion (voir plus haut), vous vous faites traiter de « Attila the hen » (jeu de mot intraduisible sur Attila the Hun, surnom donné par les travaillistes à Margaret Thatcher), ou l’on vend sur internet des casse-noix en forme d’Hillary (noix, nuts en anglais a aussi le sens de testicules) ou des urinals avec son effigie au fond de la cuvette.
Si vous êtes forte, vous êtes trop forte ; si vous êtes femme, vous êtes trop femme. Pile tu perds, face je gagne. Les femmes politiques peuvent être ramenées à leur féminité essentielle par les chemins les plus inattendus : lorsqu’il est devenu clair qu’Obama avait rattrapé Clinton, de nombreuses voix se sont élevées dans le parti démocrate pour demander à cette dernière de s’effacer devant le sénateur de l’Illinois ; beaucoup de ceux qui essayaient ainsi de « ramener Hillary à la raison » le faisaient en invoquant, explicitement ou implicitement, le fait que c’est normal que ce soit la femme qui se sacrifie. Plus pervers encore que le double impératif contradictoire, le fait que pratiquement aucune femme politique n’ait pu accéder au pouvoir sans accrocher son wagon à une locomotive masculine.
Derrière toute femme ministre ou présidente se cache un homme : père (Roselyne Bachelot, Martine Aubry, Benazir Bhutto), mari (Ségolène Royal, Hillary Clinton, Violetta Chamoro, Kirchner), amant et/ou mentor (Edith Cresson, Rachida Dati, Sarah Palin). Sans tremplin masculin, pas de saut de l’ange. Le problème est que ce soutien est toujours hautement conditionnel, que le mâle dominant peut retirer sa faveur à sa favorite à tout moment et sans explication et que la brise masculine qui avait gonflé les voiles de l’ambitieuse sur son chemin vers le pouvoir peut se transformer sans prévenir en tempête hurlante qui naufrage son navire.
Ségolène Royal ne serait pas arrivée là où elle est sans François Hollande ; réciproquement, si Hollande n’était pas son ex-mari et ne tentait pas de la torpiller à chaque fois qu’elle prend une initiative, s’il n’avait pas fait du TSS (Tout Sauf Ségolène) un objectif prioritaire de son action de Secrétaire, elle serait sans doute plus avancée dans sa carrière politique.
Hillary Clinton est l’épouse du quarante-deuxième Président des Etats-Unis. Incontestablement, la machine de guerre démocrate construite par Bill Clinton pour le soutenir durant ses années présidentielles l’a bien servie pendant la campagne 2008 mais, comme je l’ai mentionné plus haut, les interventions maladroites et envahissantes de l’ex-président l’ont aussi beaucoup desservie. Ces ingérences maritales ont beaucoup déplu et ont fait craindre l’avènement d’une troisième présidence Bill Clinton si la candidate démocrate était élue, en vertu du stéréotype patriarcal qui veut qu’une femme ne peut qu’être l’obéissante créature de son mari, totalement sous son emprise et incapable de penser et d’agir de façon autonome. S’est on jamais soucié, en élisant un président mâle, de l’influence dangereuse que pourrait avoir sur lui une épouse au caractère affirmé ? Bill Clinton a soutenu sa moitié comme la corde soutient le pendu et, vu le lourd passif relationnel existant entre eux, on peut se demander si ses interventions pour l’aider ne relèvent pas en fait d’un désir inconscient de la torpiller.
Plus handicapant est le bagage d’images négatives que doit trimballer Hillary suite aux infidélités publiques et répétées de son mari. Souvent, sur des blogs et dans les medias, j’ai vu apparaître des arguments non dénués de validité tels que : Bill lui a menti pendant des années, à chaque fois qu’il l’a trompée, elle a toujours été « the last to know » (la dernière à savoir). Les politiciens et les chefs d’Etat ne sont pas des enfants de chœur, en politique la tromperie et le mensonge sont monnaie courante. Comment voulez-vous qu’une femme qui a été si facilement et si longtemps dupée par son mari puisse voir clair dans les bobards dont on ne manquera pas de l’abreuver, dans les traquenards dans lesquels on essaiera de la faire tomber lorsqu’elle sera chef d’Etat ?
Encore plus grave : comment voulez-vous, disent certain/es, qu’une femme qui a avalé des kilomètres de couleuvres, accepté l’inacceptable avec une incompréhensible obstination et joué les « long suffering wife » (les femmes martyres) pendant des années puisse tenir tête à ces politiciens-qui-ne-sont-pas-des-enfants-de chœur, à ces leaders d’états voyous qui chercheront immanquablement à l’intimider, à la faire plier, à lui tordre le bras figurativement parlant ? Peut-on attendre d’une femme qui, toute sa vie, a pris des coups sans les rendre, qu’elle knocke-oute Ahmadinejad et qu’elle fasse mordre la poussière à Poutine ? Politique, ton univers impitoyable n’est pas fait pour les chiffes molles : en faisant passer la sauvegarde de son mariage et de la carrière de son mari avant sa dignité, la candidate démocrate s’est taillé une image de paillasson qui lui collera à la peau pour le reste de ses jours. Qui plus est, elle est devenue LA victime archétypale de la perfidie masculine—quand on pense « femme abominablement trompée à laquelle son mari en a fait voir de toutes couleurs » aux USA, on pense Hillary.
Un leader étant par définition le contraire d’une victime, une personne identifiée comme victime par excellence ne peut pas devenir leader, CQFD. Et donc, autre situation lose/lose, les femmes ne peuvent gravir les premiers barreaux de l’échelle sans appui masculin mais vient quasi-inévitablement le moment où, la relation tournant à l’aigre, le compagnon-appui devient un compagnon-boulet qui entrave l’ascension de la candidate, quand il ne menace pas de la couler.
Clinton a bien essayé d’effacer cette étiquette de carpette en se surmachisant, en votant pour la guerre en Irak, en menaçant l’Iran de représailles, en entrant au Armed Services Committee du Congrès, en se vantant d’avoir essuyé le feu de tireurs embusqués à son arrivée à Beirouth et en descendant cul-sec bières et whiskies au zinc de restaurants routiers, peine perdue. La vision d’Hillary apparaissant stoïquement à la télévision aux côtés de son mari infidèle pour le soutenir est restée fixée dans toutes les mémoires. Cette femme bafouée, publiquement cocufiée aux yeux de la planète entière, et choisissant néanmoins la stratégie du « stand by your man » (défend ton homme) a certes suscité des éloges hypocrites pour son admirable dévouement conjugal mais elle s’est plus sûrement attiré le mépris de la part d’une partie des électeurs qui comprennent mal qu’elle puisse assez manquer de fierté pour défendre ainsi un homme qui l’a constamment maltraitée, ridiculisée, humiliée pendant la quasi-totalité de leur vie conjugale.
J’ai entendu des femmes traiter Hillary Clinton de « sacrée imbécile » (damned fool) qui fait honte à son sexe pour n’avoir pas eu le courage de quitter son mari après l’affaire Lewinsky. Suite à ce comportement, beaucoup en ont déduit qu’elle était pareille à ces femmes battues qui reviennent toujours à leur batteur, complice de son bourreau, le jouet consentant de la perfidie masculine, le punching ball volontaire de Bill, autrement dit, qu’« elle aimait ça ». Personne ne nie qu’elle soit courageuse, mais on ne lui reconnaît du courage que pour endurer, supporter, encaisser, pas pour attaquer, vaincre, dominer.
Mike Reagan, le fils aîné du Président, brode sur ce thème lorsqu’il écrit : « Hilllary est une dupe consentante, elle est la femme idéale du mari adultère. Tout époux adultère voudrait avoir Hillary Clinton pour épouse, il pourrait ainsi sortir et se donner du bon temps, sachant que sa petite femme fermera les yeux du moment qu’il est un bon travailleur, qu’il rapporte un bon salaire à la maison et lui achète ce qu’elle veut. Hillary Clinton a donné à son mari un permis de commettre l’adultère aussi longtemps qu’il payait ses factures, elle a acheté du pouvoir avec de la pitié ; la raison pour laquelle elle est au Sénat, la raison pour laquelle elle est candidate à la présidence (…), c’est parce que son mari l’a trompée ».
Et le multirécidiviste Chris Matthews porte l’estocade : « elle n’a pas gagné (la nomination démocrate) à cause de son mérite, elle a gagné parce que tout le monde a pensé : « mon Dieu, cette femme a été abreuvée d’humiliations ». Condamnée à vie à porter le stigmate de victime, Clinton est de plus accusée de l’avoir monnayé pour accéder à la présidence.
Ou si l’on considère que Hillary Clinton n’a accepté de pardonner Bill que pour ménager ses ambitions politiques, elle est alors représentée comme un Machiavel en jupon, une « dragon lady », une perfide manipulatrice déclinant au féminin les tactiques jésuitiques de la dissimulation, de la ruse et du froid calcul. Bécassine ou Cruella, dans la vision patriarcale, une femme qui ose afficher de hautes aspirations politiques tombe obligatoirement dans une de ces deux cases.
Pour Royal comme pour Clinton, leur carrière politique a été le résultat de la rencontre avec un homme, la conséquence d’une histoire d’amour et de désamour. Sans leur relation avec François et Bill, il assez probable qu’elles ne seraient pas entrées dans l’arène. Ce sont ces hommes qui leur ont mis le pied à l’étrier, c’est grâce à leur influence qu’elles ont obtenu leurs premiers postes. Pendant des années, elles ont été des épouses admirantes acceptant de mettre de côté leurs ambitions personnelles pour laisser la vedette à leur mari. Auraient-elles accepté de continuer à vivre dans l’ombre de leur grand homme si leur couple avait duré ? On peut se le demander. C’est identiquement l’éloignement affectif et l’infidélité de leur compagnon qui les ont poussées à rejeter ce rôle de faire-valoir et à prendre la décision de rouler pour elles.
L’entrée de ces femmes en politique n’est pas l’expression d’une vocation volontariste, comme dans le cas de ces ambitieux qui se sentent appelés à un destin national très jeune et pensent à la présidence pendant des années en se rasant. Elle apparaît hautement contingente, déterminée par les rencontres masculines, les intermittences du cœur, les avatars du couple. C’est une trajectoire aléatoire qui commence dans la dépendance et finit par l’autonomie, laborieusement conquise après un dur combat mené tant contre leurs propres conditionnements d’auto-limitation et leur dépendance affective que contre leur partenaire masculin, lorsque de tuteur/mentor celui-ci est devenu handicap. De plus, contrairement aux hommes dont toute l’énergie s’investit sur leurs objectifs de carrière, elles ont du mener ce long et pénible processus d’émancipation personnelle de pair avec le combat politique (et avec leurs responsabilités familiales).
Sporenda