entrée des femmes en politique II
On ne peut pas dire d’elle que John McCain l’ait choisie pour son expérience politique—depuis novembre 2006, elle est à la tête d’un état à peine plus peuplé que Toulon. Ses gaffes à répétition ont rapidement mis en évidence que ses connaissances en matière d’affaires internationales, d’accords commerciaux, de géopolitique et même de géographie tout court étaient des plus succintes, de même que ses notions sur la Constitution et le Bill of Rights, les institutions, le fonctionnement du gouvernement, le rôle du vice-président, du Congrès, de la Cour suprême, etc. Les interviews qu’elle a donnés peu après sa nomination, comme celui avec Kathie Couric, l’ont fait apparaître si inculte et ont été si catastrophiques pour sa crédibilité vice-présidentielle que le staff de la campagne McCain l’a ensuite mise sous cloche et n’a plus permis à aucun journaliste de l’approcher, sauf un ou deux triés sur le volet et connus pour être des républicains pur jus.
Sarah Palin a été choisie par McCain pour des raisons politiques et pour d’autres, plus déterminantes, qui ne le sont pas. Certes, le fait que son fondamentalisme religieux et ses valeurs ultra-conservatrices ne pouvaient qu’électriser la fraction la plus à droite de son parti a joué un rôle dans ce choix mais plus important a été le fait que Palin est une femme au physique agréable, sexuellement excitante, ex-miss Alaska en second, encore jeune et féconde, ce qui n’est pas le cas de la plupart des femmes quand elles atteignent de hauts niveaux de responsabilité.
La gouverneure de l’Alaska est une MILF (a mother I would like to fu…k, une mère de famille que l’on aimerait baiser), et des hommes, républicains et non républicains, ont indiqué assez explicitement que leur ralliement à Palin n’était pas étranger à son pouvoir de stimulation érectile. « Exceptionnellement jolie », a dit d’elle le républicain Fred Barnes, du Weekly Standard. Un autre a révélé que la voir sur son écran télé haranguant les foules républicaines titillait sa libido. McCain lui-même n’a-t’il pas exprimé un intérêt sexuel sur un mode codé et involontaire lorsqu’il a confié au cours d’une interview : « when she is near me, I feel uplifted » (quand elle est près de moi, je me sens ragaillardi).
Quel meilleur moyen de fidéliser la principale clientèle électorale de McCain, les « old white males » (vieux mâles blancs) de plus de 60 ans qui votent massivement pour lui que de leur offrir une femme-Viagra, une reine de beauté qui, outre ses références conservatrices impeccables, réveillera leur virilité asthénique ? Semblables à ces publicitaires qui pensent que, pour vendre de la bière, une voiture ou de l’after shave à leur clientèle masculine, il suffit de montrer une femme nue, McCain n’a-t’il pas en quelque sorte tablé sur le fait que si Palin leur donnait une érection, cela assurerait son élection ?
C’est sur cette analyse cynique des motivations de l’électorat masculin qu’a surtout été choisie « Caribou Barbie ». Ramenant ainsi l’entrée des femmes en politique à des schémas vieux comme le monde : la secrétaire pas très futée mais rusée et ambitieuse qui tape dans l’œil de son patron et qui se fait promotionner-canapé à un poste éminent auquel elle n’a pas les compétences à postuler. La chercheuse d’or qui se dégote un « sugar daddy » (papa gâteau) sénescent qui la couvre de cadeaux, vêtements, etc. (le parti républicain a dépensé plus de 150 000 dollars en vêtements de grands couturiers pour Palin, sans compter le coiffeur et la maquilleuse). La bimbo écervelée et capricieuse (Palin a été traitée de « diva » par ses Pygmalions de l’équipe McCain) qui se tortille, fait des clins d’œil coquins (des journalistes en ont compté jusqu’à six au cours d’un de ses discours) et s’exprime en blagues de blondes.
Tout aussi prévisiblement, l’échec politique de McCain lui a été attribué—« Palin a torpillé la candidature de McCain » a-t-on pu lire dans les medias. Ceci conformément à ces scénarios du genre « Nana » ou « L’ange bleu » où de malheureux hommes d’un certain âge, respectables et estimés de leur entourage, tombent sous le charme de gourgandines enjôleuses qui les mènent par le bout du nez et pour lesquelles ils finissent par sacrifier leur famille, leur carrière et leur dignité. Nonobstant cette vieille habitude patriarcale de déresponsabiliser les hommes et d’accabler les femmes, ce qui a coulé avant tout la candidature de McCain, c’est son mauvais jugement et sa mentalité misogyne qui lui ont fait choisir, sur la base de son sex appeal, une femme intellectuellement limitée et incapable d’assumer des responsabilités présidentielles. Le message que la candidature de Palin a fait passer, c’est que l’accession des femmes au pouvoir peut bien être un fait nouveau, elle s’effectuera le plus souvent conformément aux schémas patriarcaux les plus éprouvés : c’est d’abord par leur physique et leur allégeance à un homme puissant et âgé que les femmes réussissent, l’intelligence et la compétence ne comptent pas. D’autres femmes politiques n’hésitent pas à recourir à une version light de la stratégie Palin et misent plus sur leur image que sur leur message pour atteindre leurs objectifs, confirmant ainsi les préjugés misogynes les plus péjoratifs. « Ce n’est pas un concours de beauté », a déclaré Martine Aubry référant à la désignation d’un secrétaire du PS ; le problème est que, quand l’entrée des femmes en politique se déroule ainsi sous les auspices de l’idéologie patriarcale, ça risque fort d’en être un.
D’une façon générale, l’intrusion féminine dans ce domaine depuis toujours réservé aux hommes fait désordre : elle brise le mur entre vie privée et vie publique qui permet au pouvoir masculin de faire illusion en se cachant derrière un voile de secret et d’apparences, comme le magicien d’Oz. Lorsque les histoires de sexe de tel ou tel politicien sont portées sur la place publique parce qu’elles affectent la bonne marche du parti, voire du pays, les masques tombent, le respect se perd et le mythe du pouvoir masculin, abstrait, impersonnel, maîtrisant les événements et planant au dessus de la mêlée en prend un coup.
L’affaire Palin rend encore plus inquiétante cette irruption des femmes en politique : ces politiciens âgés promouvant leurs protégées à de hautes fonctions pour lesquelles elles n’ont tout simplement « pas le niveau » renvoient quelque part à l’ère des favorites royales ; et les féministes américaines pensent à juste titre que la starification politique de la gouverneure de l’Alaska ne sert pas la cause des femmes.
Bilan mitigé donc : peut-être un pas en avant avec Hillary, sans aucun doute un pas en arrière avec Sarah ; pour Ségolène, le jury est encore en délibération. A une journaliste qui lui demandait si le pays était prêt pour une femme présidente, Clinton a répondu : « nous ne le saurons pas avant d’avoir essayé » (we won’t know until we try). Maintenant, nous savons : le pays n’était pas prêt—mais peut-être n’était-ce pas la femme qu’il fallait. Pas de raison de se décourager pour autant : la féministe américaine Mary Wilson a affirmé que : « nous finirons bien par y arriver parce que c’est la pagaille actuellement et que c’est toujours les femmes qu’on appelle pour nettoyer ».
Sporenda.