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Barbarie?
"Le principe de liberté ne peut exiger qu'il soit libre de ne pas être libre. Ce n'est pas être libre que d'avoir la permission d'aliéner sa liberté". John Stuart Mill
"Si j'aurais su j'aurais pas venu", disait Tigibus dans la guerre des boutons. Intervenir sur certains sujets dans les réseaux sociaux donne une idée des limites de l'exercice. Volée de bois vert, insultes, approximations. Le débat en 140 caractères a ses limites, vite atteintes...
L'hystérie de LaManifPourTous et son manichéisme simplet marquent l'époque. La pensée binaire gagne du terrain. Les débats d'idées se simplifient. Cochez la case. Pour ou contre? Noir ou blanc? Dedans ou dehors? Vrai ou faux? La nuance n'est pas de mise. Ça a l'air reposant, tout dans la simplification, mais en fait ça se révèle fatigant. Un exemple?
Avant hier, 14 avril, je lis le tweet suivant, émis par LeParisien: "
Sophie est sur le point d’accueillir son bébé conçu par GPA. Problème : le #confinement l'empêche de rejoindre leur mère porteuse, en Ukraine. La jeune femme lance un appel à l'aide : «Des bébés sont nés, vont naître, seuls, sans leurs parents» > http://leparisien.fr/societe/confinement-l-appel-a-l-aide-d-une-normande-dont-le-bebe-doit-naitre-par-gpa-en-ukraine-14-04-2020-8299311.php"
Une femme qui a eu recours à une mère porteuse en Ukraine se trouve coincée par le confinement: le bébé va naître et elle ne peut pas aller le chercher. Je lirai plus tard qu'elle est née sans utérus. Je suis frappée par l'absurdité de la phrase: "
des bébés vont naître, seuls, sans leurs parents". Des bébés vont naître seuls?
Un bébé qui nait seul ? C'est cette phrase que me choque. Je réagis. Trop vite? Je tweete: "
Un bébé nait rarement sans sa mère. Jamais, même. Ce qui ne va pas c’est la GPA. #Barbarie"
Barbarie est un mot fort. Un mot violent. Je le sais. Il se trouve qu'il est à la mesure de ce je pense de cette pratique. Dissocier une femme de sa grossesse et de son accouchement pour remettre l'enfant qu'elle met au monde à quelqu'un qui se l'est approprié par l'argent (homme ou femme, homo ou hétéro) me semble une pratique barbare. Et encore. Car barbarie, pour un peuple, signifie absence de civilisation. La GPA n'est pas liée à l'absence de civilisation, tout au contraire, puisqu'il s'agit d'un champ ouvert par la technologie la plus up-to-date.
Une pluie de réactions s'abat sur mon portable. Certaines sont insultantes, je les ignore. Je vous en réserve trois, d'un tout autre style:
- Une autre féministe, Agnès Setton, que je connais, précise: :"
Non ce bébé va naître avec sa mère et pas sans parents. Et il ne sera pas arraché à sa mère justement. La GPA, exploitation du corps des femmes les plus précaires, sorte de traite totalement déshumanisante, est interdite en France au cas où on l’aurait oublié"
- Une féministe que je ne connais pas, Sunflower, compare avec la Servante Écarlate: "
La GPA m'a toujours fait penser à la servante écarlate, roman de science-fiction dystopique écrit par M.Atwood. La religion, mais il y a aussi des femmes barbares. Si on pouvait garder les frontières fermées sur ce sujet GPA, ce serait une bonne nouvelle"
- Et un pro GPA, non hostile, que je connais aussi, Pablo Pillaud-Vivien, réagit au mot "barbarie": "
Barbarie carrément... et beh... des enfants nés par GPA s’épanouissent pleinement en France et ailleurs. Vous voulez vraiment leur jeter à la figure qu’ils et elles sont les fruits d’une barbarie ?"
Je précise: je condamne une pratique. Pas les enfants qui en résultent, qui n'y sont pour rien. Je ne remets en cause ni le désir d'enfant, légitime, ni la capacité des couples ayant eu recours à la GPA à élever ces enfants comme n'importe quel autre couple. La solution? Je ne l'ai pas. Mais la politique du fait accompli, qui consiste à aller à l'étranger, là où c'est autorisé, à créer ex nihilo un sac de noeud juridique puis d'instrumentaliser l'enfant pour en faire une question d'égalité, est contestable, à tout le moins.
La grande oubliée est la femme qui a mené à bien cette grossesse, avec tout ce que ça comporte, sans en gouter la compensation.
Dans le contexte patriarcal qui est le nôtre, dans l'idéologie néolibérale qui rentabilise tout, l'utérus est un marché de plus. La GPA, une violence faite aux femmes. Une de plus.
Je vous offre ce passage de mon spectacle, "Et encore, je m'retiens!", qui synthétise ce que je pense, du mariage tout court, du mariage homo, de l'adoption, et de la GPA:
"Le mariage! Ce miracle qui transforme le désir en obligation et l'amour en contrat ! On a bien cru qu'on avait eu sa peau, au mariage ! En France, un enfant sur deux nait hors mariage et un mariage sur deux finit par un divorce! L'institution était moribonde! On allait enfin vers l'Union Libre! Les éternelles fiançailles chantées par Brassens ! Mariage pour personne!
Et qui est-ce qui vient ressusciter tout le Saint Frusquin avec le mariage pour tous? Les homos! Les homos ? Nos compagnons de route, nos frères d'armes, nos alliés de toujours ! On s'est battu ensemble, sur tous les fronts ! Voilà qu'ils veulent leur part de dragées, choux à la crème et poignées de riz?
Et en quel honneur? Au nom de l'égalité! L'é-ga-li-té.. L'égalité est un concept élastique. L'égalité, ça dépend avec quoi! Travaux forcés pour tous! Apartheid pour tous! Misère pour tous? Mariage pour tous !
Sur le moment, c'était un peu déroutant, faut reconnaître... Si ils y tiennent, ça leur passera avant que ça me reprenne! Les enfants? L'humanité a passé des siècles à essayer d'en faire moins, mais là, tout le mode en veut! Adoption pour tous! Allons-y gaiement ! Ils feront pas mieux que les hétéros, mais ils feront pas pire.
Ah ben oui mais non, l'égalité c'est l'égalité! Y en a, ce qu'ils veulent, c'est pro-cré-er! Pas que des homos, d'ailleurs, des hétéros aussi! Veulent des enfants, mais bio! Et là, ça coince! Là, à un moment, homos ou hétéros, il faut neuf mois d'utérus disponible!
Pour Pierre Bergé, aucun problème! Je cite: "Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler en usine, quelle différence?" C'est sûr que pour lui y en a aucune, il s'en fout, il fait ni l'un, ni l'autre! C'est un mec, et il est riche. Mais autour de l'utérus disponible, y a une femme, et elle est pauvre! Après la collectivisation des vagins pour la prostitution, la privatisation des utérus pour la GPA! Des incubatrices professionnelles en rayon chez Kiloutou ! Au nom de l'égalité, bien entendu! "
Pensée binaire: Beaucoup de réactions à mon tweet provenaient de manière évidente des allumés de la Manif pour tous, qui ont semblé en déduire que je me rangeais à leur arguments. Non. Rien n'est plus faux. Ce sont là les pièges de la pensée binaire. La famille classique nucléaire n'est pas une valeur pour moi. Loin de là. Quand ça fonctionne, tant mieux. Mais ça ne fonctionne pas tant que ça, tout le monde le sait. Les autres formes de familles, homo, solo, recompo, font ce qu'elles peuvent, ni mieux ni pire.
Et bien sûr qu'on aimerait que quiconque désire un enfant et soit capable de l'élever puisse le faire. Mais pas à n'importe quel prix. Pas, une fois de plus, sur le dos des femmes. Leur ventre, en l'occurrence.
Après le patriarcat, si ce jour arrive, on pourra reconsidérer la question du rapport à la maternité, de son partage. Pas avant. En attendant, ni l'insulte, ni l'à peu près, ni la caricature ne sont de mise.
Espace commentaire
vareuse - Le 17/04/2020 à 03:39
Je trouve que vous avez bien raison d'employer le mot barbarie ici : ça choque les oreilles des exploiteurs, sans doute, mais à un moment il faut bien appeler un chat un chat.
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Isabelle Alonso - Le 17/04/2020 à 09:17
Oui, c'est profondément choquant. Merci!
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