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Ceux de iTÉLÉ
Ni droite ni gauche, c'est le refrain à la mode, le nouveau credo des candidats autoproclamés "hors système". Ce fourretout conceptuel se voit revendiqué à la fois par un énarque ex-ministre et une fille-à papa députée européenne, qui par ailleurs s'opposent. Chacun peut constater à quel point ils sont complètement hors système! Comme les tomates hors sol n'ont complètement rien à voir avec l'agriculture... Ils confondraient hors système avec déconnection du plancher des vaches que ça ne m'étonnerait qu'à moitié...
Ce "hors système" se veut novateur, créatif, porteur du monde nouveau. On l'invoque comme le mythique Joseph Prudhomme célébrait son sabre: "... je m'en servirai pour défendre nos institutions et, au besoin, les combattre".
Ce "hors système" démode, ringardise définitivement la lutte des classes comme moteur de l'histoire, rangée au placard des accessoires politiques de siècles défunts.
La lutte de classes, riches vs pauvres, propriétaires des moyens de production vs prolétaires n'ayant que leurs enfants (
proles en latin) et leur force de travail, n'est plus qu'une vision surannée ne correspondant à aucune réalité dans le monde d'aujourd'hui, libéral et globalisé.
Le code du travail? Pareil. Antédiluvien, inadapté, out! Les conditions de travail doivent se négocier boite par boite, au coup par coup, au cas par cas, par
gentlemen's agreement, entre partenaires ayant, tout bien considéré, les mêmes intérêts, pas vrai? Puisqu'on vous le dit!
Ok, d'accord, je comprends, faut vivre avec son temps, hein, autrement on va se faire avaler tous crus par les Chinetoques, les Russkofs, les Yankees et plein d'étrangers tous plus méchants les uns que les autres.
Ah ben oui mais alors, iTÉLÉ, on en fait quoi? La grève de trente jours menée par ces naïfs qui voulaient quoi? La révolution? Le grand soir? La guerre sociale? Des tonnes de fric? Non, non, pas du tout! Ils voulaient juste ne pas faire chaine commune avec un agresseur sexuel et aussi, quelle audace, garantir leur liberté éditoriale. Ils voulaient se prémunir contre la Morandinisation à venir, façon Hanounisation qu'on voit déjà...
En face, un patron. Bolloré. Il écoute? Il essaie de comprendre, de négocier, de faire valoir son point de vue? Non. Assis sur son tas d'or, il attend. Benoitement. Il le sait que des salariés privés de salaire finissent, malgré toute leur détermination, par s'asphyxier. Ceux de iTÉLÉ ont tenu bon pourtant. Oui mais en face il a tout son temps. Pour lui, la chaine est une danseuse, un caprice, un colifichet à son collier de multimilliardaire. Peanuts. Il dort bien, Bolloré, là? Jouit-il, le soir, avant de s'endormir, à l'idée qu'il n'a pas bougé d'un micron ? Qu'il est un dur, un vrai?
Ni droite ni gauche ? Ni patron ni salariés ? Vraiment ?
En 1945 le Conseil National de la Résistance, qui revenait de loin, a voulu séparer la presse des puissances de l'argent. Pourquoi? Parce qu'on ne la leur faisait pas. Parce qu'après quatre ans de guerre ils avaient tout vu. Et parce que la guerre avait ouvert une petite brèche dans ce que le patronat, très largement collabo pendant l'Occupation nazie, était prêt à lâcher. Temporairement, comme on voit aujourd'hui.
L'argent et les média, c'est pas de la lutte de classe non plus ? Ce n'est que de l'harmonie entre gens de bonne compagnie partageant le même but, une info libre et rigoureuse ? Faut demander à ceux de iTÉLÉ, eux ils savent.
Dans le monde épicier qu'ont forgé pour nous tous les Bolloré de la planète, assistés par technocrates et économistes aux ordres, on mesure, on quantifie, on pèse. Comme chez
"Ces gens là", chantés par Brel:
"Faut vous dire, Monsieur
Que chez ces gens-là
On n´cause pas, Monsieur
On n´cause pas, on compte"
Tout devient chiffres. Ce qu'on ne peut pas réduire à une statistique n'existe pas.
Comment, dans ce contexte, rendre compte du vécu de ceux qui ont le courage de se lancer dans une lutte à armes inégales ?
Comment quantifie-t-on, à l'aune néolibérale, ce que ressentent tous ceux qui, un jour, luttent pour leurs droits? Euphorie et découragement, bravoure et abattement, enthousiasme et chagrin? Qu'est ce que ça vaut? Combien ça coute? Combien ça rapporte?
S'ils avaient gagné, ceux de iTÉLÉ, il se serait passé quoi? S'ils étaient rentrés chez eux avec la satisfaction d'avoir été entendus, d'avoir pu se faire comprendre, d'avoir réussi à partager? S'ils avaient pu lever un verre de fraternité après une juste lutte menée loyalement pour le bien de tous? Ils auraient connu cette exaltation particulière des soirs où soudain tout semble possible parce qu'on a tous eu le même rêve, en même temps et que c'est un sentiment précieux, commun à tous ceux qui, au moins, ont essayé d'influer sur la marche du monde. Ils auraient repris le travail avec une énergie nouvelle et joyeuse, avec cet élan particulier qu'insuffle une action menée et réussie ensemble. Et leur travail n'en aurait été que meilleur, plus productif, parce qu'on en fait plus et mieux quand on est heureux.
Et le patron, à terme, en aurait même été plus riche, puisqu'après tout, c'est son seul et unique critère de jugement. Mais il ne s'en rend même pas compte. On le suppose juste boursouflé d'autosatisfaction. Le cynisme non plus, ça ne se compte pas. Mais ça se mesure. Et ça pèse.
L'intransigeance bornée de leurs interlocuteurs laisse les grévistes, ceux qui restent comme ceux qui partent, sur le flanc, tristes, avec un intolérable sentiment d'impuissance et de non considération.
Qu'ils sachent que par ces temps de montée des périls, ils se sont fait une petite place au chaud dans beaucoup de coeurs. Ils resteront "ceux de iTÉLÉ". Dans les mémoires de lutte, ils s'installeront aux côtés des Lip, des Conti, des Lejaby, de tous les autres... Ceux qui, en tenant tête à l'ogre, ont sauvé un peu de notre dignité à tous.
Merci à eux.
Espace commentaire
Evelyne - Le 19/11/2016 à 14:32
BIEN DIT!!! Mais quand même les siècles passent et ce sont toujours les mêmes qui gagnent à la fin.... amertume ...
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Isabelle Alonso - Le 19/11/2016 à 16:11
Oui, mais on avance, on avance...
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