Les gens sont méchants, disait Fernand Reynaud dans un sketch d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître sauf si leurs parents ont gardé des vinyls antédiluviens... Mais certaines choses ne changent pas, jamais. Les gens sont toujours aussi méchants, Mame Michu c’est à ne pas croire... Il m’arrive, de temps en temps, d’aller faire un tour sur le forum FR2 de l’émission « On a tout essayé » où les internautes échangent leurs opinions et où les chroniqueurs, dont moi, et pas qu’un peu, se font régulièrement étriller et parfois complimenter sur leurs propos.
Suis-je maso ? Non, pas un brin. Prendre la parole en public, à fortiori à la télévision où on ramène carrément sa fraise dans le salon de tout le monde, c’est forcément s’exposer au jugement d’autrui. No problem. Jeter un œil sur ces forums, est une sorte de prise de température qui permet de mesurer la distance (intersidérale) entre ce qu’on essaye de faire et ce qu’on arrive à faire. Et de garder la tête froide, tant on constate la relativité des choses.
Que les gens n’aiment pas ce que je dis, que ça leur donne de l’urticaire, des boutons ou même de l’érythème fessier, ils ont le droit de l’exprimer. Que pour l’exprimer ils aient recours, sous pseudonyme, à l’à-peu-près, au mensonge, à la calomnie et à l’insulte en une implacable et glissante progression, confirme que non seulement les gens sont méchants, mais qu’ils peuvent parfois se révéler d’infâmes abrutis sécrétant cette sombre connerie qui fait peur. Pas tous, hein, qu’on me comprenne bien. Il y a aussi des gens drôles et des critiques justifiées et constructives. Mais revenons à nos moutons cathodiques.
Les 24 novembre 2005, pendant l’émission, nous parlons de la Marseillaise, pas Mireille Mathieu, mais l’hymne national de la France. Laurent Ruquier nous demande de chanter un hymne étranger. Je chante un tout petit bout de l’hymne espagnol. Parce que je revendique volontiers mes origines ibériques, ce qui n’aura pas échappé aux fidèles de l’émission.
Il y a deux ou trois choses à savoir sur l’hymne espagnol, autrement on ne comprend rien à ce qui suit. Je sens que ça vous passionne, mais je ne peux pas faire autrement, si je veux que mon propos soit clair !
Cet hymne, la « Marcha real », est resté le même depuis deux siècles, malgré les soubresauts de la situation politique. Il n’a connu qu’une courte interruption pendant la deuxième République espagnole, entre 1931 et 1939, où on le remplaça par l’hymne dit « De Riego ». Après 1939, Franco remit en place l’ancien hymne, n’en fit pas de nouveau. Cet hymne est toujours le même aujourd’hui, après trente ans de retour à la démocratie.
Cet hymne n’a pas de paroles officielles. Cependant, en 1947, aux plus sombres jours du régime, Franco en fit écrire par un académicien en vogue sous le franquisme, José Maria Pemàn. Dès que ces paroles furent connues, des parodies fleurirent un peu partout, comme toujours dans les dictatures où l’humour est la seule défense contre l’adversité. Mes parents avaient ces paroles dans leurs bagages d’exilés des années cinquante. Quand j’étais enfant, et alors qu’à l’école j’apprenais d’autant plus la Marseillaise que je faisais partie de la chorale de l’établissement, ma mère et mon père nous apprenaient les parodies en question, comme ils nous apprenaient des dizaines d’autres chansons, histoire de nous tricoter des petites racines et des références.
Ma mère avait sa version, et mon père avait ajouté un grain de sel personnel. Ma mère chantait : « Franco, franco, que cara mas simpatica que tiene usted, parece un animal... » alors que mon père préférait « Franco, franco, que cara mas simpatica que tiene usted, parece un adoquin... ». C’est à dire que ma mère attribuait à Franco une belle tête d’animal, alors que mon père lui trouvait une belle tête de pavé... Deux versions, une même dérision. Voilà l’histoire. La parodie, en tout cas celle que je connaissais, n’avait pas de refrain, elle reprenait le vrai, qui parlait non pas de Franco, mais de l’Espagne en tant que patrie. Et mes parents, s’ils étaient, et sont toujours, anti-franquistes, n’en sont pas moins toujours restés très patriotes. Je pourrais dire chauvins, mais je ne voudrais pas les vexer...
Au moment où Laurent Ruquier m’a demandé de chanter un hymne étranger et qu’évidemment j’ai pensé à l’Espagne, aurais je dû me lancer dans une explication précisant que l’hymne n’ayant pas de paroles officielles je vais chanter lalala ou mmmm, voire tatsoin, tatsoin, tarariiii ? Non. Le refrain que j’ai entonné à l’émission, tout écrit par Pemàn qu’il soit, dit exactement ceci : « Gloria a la patria que supo seguir sobre el azul del mar el caminar del sol » (gloire a la patrie qui a su suivre sur le bleu de la mer le cheminement du soleil). La phrase n’a rien à voir avec le franquisme, elle fait allusion aux aventuriers, aux marins, aux explorateurs, aux Cristobal Colon (Christophe Colomb), Cabeza de Vaca, Juan Sebastian El Cano, et tous les autres qui sillonèrent la planète au siècle d’or. Oui, ils sont les héros qui suivirent le soleil et leurs rêves. Les franquistes ont toujours essayé de se les approprier. C’est hors de question. Ils sont aux Espagnols ce que Bayard, Du Guesclin ou Charlemagne sont aux Français, des héros identitaires. Ils sont le support des mythologies hispaniques. J’assume à cent pour cent.
Je me garde bien en revanche de commencer par le couplet de Pemàn, qui dit : « L’Espagne triomphe ! Les jougs et les roues chantent au rythme de l’hymne de la foi, Ensemble avec eux chantons debout la vie neuve et forte de travail et de paix ». Ça, la salade de triomphe, de foi, de travail, de joug, de vie neuve et forte, de paix imposée par trois ans de guerre, non, je ne chante pas. Parce que c’est de l’idéologie franquiste, et que je ne mange pas de ce pain là.
Je n’avais pas conscience, au moment où j’ai entonné ces quelques mots dans cette séquence improvisée, que je pouvais heurter qui que ce soit. Que des personnes imagineraient que j’avais pu revendiquer de chanter un hymne franquiste. Cet hymne a certes été franquiste, mais il est joué aujourd’hui à chaque manifestation officielle ou sportive, car c’est l’hymne actuel de la démocratie espagnole. « Gloire à la patrie qui a su suivre sur le bleu du ciel le cheminement du soleil », il se trouve que ces paroles là ne me posent aucun problème. Dans le genre paroles d’hymne, il y a plus contestable. Si je dois donner le fond de ma pensée, je préfère le « cheminement du soleil sur le bleu du ciel » au sang impur et aux sillons qu’il abreuve, que nous autres français n’hésitons pas à entonner. Chacun son truc. Quand l’occasion se présente, c’est avec joie que je la chante, la marseillaise. Surtout si je suis à l’étranger, où elle prend une dimension de chant de liberté carrément enthousiasmante. Les paroles en sont pourtant largement craignos, autant l’admettre...
Le lendemain de cette séquence, un fil de discussion intitulé « hymne national español » s’ouvre sur le forum de FR2 consacré à O.A.T.E. Je vous en livre tels quels, y compris l’orthographe, quelques extraits :
« Avez vous asssité a la prestation d’Isabel Alonso du jeudi 24/11/05 qui croyait interpréter l’hymne national espagnol mais qui s’est gravement fourvoyé en interpretant en réalité celui créé par Franco ou moment de sa dictature fasciste !??! Et oui Mme Alonso la caracteristique majeur de l’hymne national espagnol c’est quil n’ a PAS DE PAROLE !! Quelle honte pour une femme qui se reclame etre fille d’immigres espagnols et de surcoit chienne de garde defendant les valeurs de liberté »
« D’accord avec toi,nous avons envoyé aussi un message à l’équipe de ruquier pour lui signaler cette erreur impardonable pour une fille d’émigrés espagnols politiques »
« Merci a alonso pour nous avoir rememorer les paroles de l hymne francisque et espanol .mais de la part d une personne qui dit que ses parents ont du fuir l espagne , cela est un peu etrange , mon opinion la dessus sait que alonso sait fabrique une petite histoire dans ca tete , a l epoque cele fesait du bien d etre comuniste. alonso de comuniste elle na que ses petit pulls en cachemire rouge . du reste elle a l air de tres bien connaitre les paroles ils ont dus chanter sa en famille , le plus etonnant dans cette histoire , elle dit que sont pere a du fuir franco et les paroles de l hymne franquiste ont ete cree en 1947 , alors comment elle a put aprendre les paroles »
« Oui, Isabelle est une facho !!! Elle vient de se dévoiler... Mais on s’en doutait déjà avec ses propos intolérants. Elle rêve d’un fascisme où le dictateur serait une femme, c’est la seule différence ».
« Mes grands-parents et ma Maman ont du se retourner dans leur tombe !!!! Eux qui ont quitté l’Espagne franquiste pour se battre ensuite pour la libération de la France !! »
« Alonso démago-facho !... Alonso démago-facho ! »
« Bonsoir !! Oui, j’ai bien et entendu ce désastre !! Elle a bien chanté l’hymne espagnole avec les paroles franquistes !! Quelle erreur de sa part, elle qui défend les libertés et qui est issue d’une famille de républicains espagnols. Et, de surcroît, elle se permet de le faire en public !! Elle devrait revoir ses classiques et mettre une muselière, bonne idée pour une chienne de garde !! »
« Je vois lis que alonso a chanter l hymne espagnol , mais tout lemonde est dans le vaux . elle a chanter cara al sol qui peut de gens le savent est l hymne des phalangistes de PRIMO DE RIVERA ce qui equivaux aux SS ALLEMAND . alonso nous a bercez avec sont histoire et celle de ses parent qui ont du fuir le regime de franco , moi je crois plutot quelle sait inventer une histoire a l eau de rose . dans ses milieu sait plus romanesque de dire quont est refugier politique que economique . avec ce hymne de foi je crois quelle nous a devoiler un peu de sa facon d etre » .
« C’est une menteuse !!! »
Et voilà. Une telle malveillance, doublée d’une telle ignorance, me laissent pantoise, autant le dire. Comme dirait mon co-chroniqueur Pierre Bénichou, je n’aimerais pas avoir connu ces gens-là dans la France de 1940 ! Des comme ça, malheureusement, mes parents en ont connu beaucoup en Espagne dans les années quarante et cinquante... Certains semblent ignorer que des réfugiés politiques espagnols, il n’y en a pas eu qu’en 39. Il y a ceux, et mon père en fait partie, qui ont continué à se battre sous la dictature. Et là, il en fallait, du courage, et du vrai. Rien à voir avec les aboyeurs sous pseudonyme... Le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde, disait Brecht... M’est avis qu’il va avoir raison encore longtemps.
i.A !
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MOGGI Jean-Luc - Le 23/03/2016 à 13:30
Chronique qui ne date pas d'hier, mais est magnifiquement tournée, et ça reste HÉLAS d'actualité 10 ans + tard et + que jamais ! J'ai découvert votre blog-notes en cherchant les paroles d'une chanson parodique qu'on chantait dans les années 70 : "Dans mon pays d'Espagne" On y énumérait les beautés et particularités de la péninsule, destination exotique privilégiée des français, qui s'y rendaient en rangs serrés sur les plages dans ces années là. C'était une chanson par accumulation (comme dans "Alouette"), et on remplaçait aussi certains mots par des gestes (pour la mer, on agitait la main horizontalement, pour le taureau, on pointait 2 doigts comme des cornes...) J'ai retrouvé les paroles de cette chanson sur un site de scoutisme (!), SAUF que la CHUTE FINALE a disparu : On y symbolisait deux mains croisées au niveau des poignets, comme prises dans des menottes, et on chantait d'un ton beaucoup plus lent et moins guilleret : LA LIBERTÉ COMME CA, LA LIBERTÉ COMME CA... Souvenirs, souvenirs Merci Isabelle, merci BEAUCOUP. Jean-Luc (Arles, 70 ans) Lien avec le site : http://www.toujourspret.com/techniques/expression/chants/D/dans_mon_pays_d'espagne.php
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Isabelle Alonso - Le 23/03/2016 à 18:23
Merci Jean Luc, je me souviens des courriers de haine que j'ai reçus à l'époque, me traitant de fasciste et de fille de fasciste, on aura tout vu! Un abrazo, iA
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Suzanne B. - Le 30/12/2015 à 01:51
Je ne sais pas qui a dit que l'envie mène le monde; je le croirais volontiers. Mais sur votre blog, les hommes sont imbattables. Vous êtes TRÈS patiente avec eux.
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