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Cheb Mami et la juge

 

Je lis en page 10 du Figaro du 2 juillet un papier intitulé « Cheb Mami jugé pour violences volontaires » et signé Stéphane Durand-Souffland. Soufflée je suis, en l’occurrence. Au cas où l’affaire vous aurait échappé, le chanteur était accusé d’avoir organisé un avortement forcé sur une femme enceinte de lui. Après avoir été séquestrée et droguée, celle-ci a subi une tentative d’avortement par curetage sauvage, signifiant une pénétration contre son gré. Les faits ne sont pas contestés.


Quelques précisions sur la loi : en France, le viol est un crime, passible des Assises. La définition du viol est : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Le viol est passible de quinze ans de réclusion criminelle. Mais il est puni de vingt ans de réclusion criminelle dans le cas où il est commis sur une personne dont la « particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un ÉTAT DE GROSSESSE, est apparente ou connue de l’auteur ». Le viol est puni de la perpétuité lorsqu’il est commis avec de la torture ou des actes de barbarie.


On pourrait en déduire que Cheb Mami risquait au moins quinze ans, pour viol. La victime étant enceinte, il en risquait vingt. Si on considère le fait d’arracher un embryon du ventre d’une mère désirant mener sa grossesse à terme et mettre son enfant au monde est un acte de barbarie, alors la peine encourue est la perpétuité.


Mami, confondu par un coup de fil qu’il passa à son ex alors qu’elle était face aux policiers prenant sa déposition ( sans cette circonstance extraordinaire, on peut se demander ce qu’il serait advenu de toute l’affaire…) a été condamné à cinq ans fermes. L’article du Figaro ajoute aux faits, déjà atroces, des détails qui donnent froid dans le dos quant à la manière dont la justice de notre pays a traité ce cas. En effet, d’après le Figaro, la juge d’instruction, vous lisez bien LA juge d’instruction, a refusé de « requalifier les faits dans un registre criminel » comme l’avocate de la plaignante en avait fait la demande, au prétexte que si celle-ci avait bien subi des « pénétrations au niveau du vagin » cela ne constituait pas une atteinte de « nature sexuelle » mais « des manipulations gynécologiques nécessaires à l’accomplissement de l’interruption de grossesse ». « Manipulation gynécologique » au lieu de « pénétration sexuelle ». « Accomplissement » au lieu de « perpétration ». « Interruption de grossesse » au lieu de « interruption VOLONTAIRE de grossesse ». En choisissant son vocabulaire, Madame la magistrate choisit clairement son camp. Elle sort d’emblée de sa neutralité supposée. Le fait que le but de la pénétration ait été de provoquer un avortement, loin de signifier une circonstance aggravante, atténuerait la portée de l’acte !


Puis LA juge conclut : « Les éléments constitutifs de l’infraction de viol aggravé ne sont pas réunis, l’infraction visant d’ailleurs à faire cesser l’état de vulnérabilité de la victime ». Et la drogue « avait évité toute souffrance physique pendant la durée de l’opération ». On a peine à croire ce qu’on lit. Résumons le raisonnement de la juge : la vulnérabilité de la victime est bien une circonstance aggravante. La victime étant enceinte, elle est en état de vulnérabilité. En mettant fin à la grossesse, de force, on met fin du même coup à la vulnérabilité ! On supprime donc la circonstance aggravante ! Qui devient une circonstance atténuante ! Et ce n’est pas tout ! La drogue, c’était pour éviter la souffrance ! Pour la juge, si on arrive à suivre les tortueux méandres de son raisonnement, il s’agissait simplement de mettre fin à une situation de vulnérabilité, en évitant la souffrance physique. Résumons : séquestrer, administrer une drogue, profiter de l’état semi-comateux qui en résulte pour, avec force insultes, tenter d’arracher un embryon du ventre de sa mère, Madame la juge considère que cela ne constitue pas un crime, juste une « violence ». Madame la juge se place délibérément du point de vue du criminel, se range sans états d’âme du côté des barbares. L’abjection de cette mercenaire de l’ordre établi n’a d’égale que la propension de notre système législatif à reposer sur des principes fondamentaux qui datent de Napoléon et n’ont jamais été remis fondamentalement en cause.


Dix ans de réclusion ont été requis contre Cheb Mami. Il a été condamné à cinq. Le droit français fait encore une fois la part belle aux agresseurs. La victime aurait pu y laisser sa peau. Cheb Mami se justifie en déclarant qu’il ne voulait pas assumer un enfant illégitime. Il fait partie de ces gens qui ne savent pas, ou s’en foutent, qu’il suffit de mettre une capote pour ne pas devenir père contre son gré. Qui n’assument pas les conséquences de leurs actes parce que des siècles d’irresponsabilité masculine ont fait porter aux seules femmes toutes les culpabilités et toutes les violences. Qui se révèlent capables de préméditer, organiser et faire exécuter un crime en prétextant des principes moraux. Et qui peuvent compter sur la loi pour atténuer la portée et la gravité de leurs agissements et requalifier leurs crimes en simples « violences volontaires ».


Et on s’étonne que les femmes victimes de violences ne portent pas davantage plainte ! Le simple fait que certaines aient encore foi dans le système et assez de courage pour entamer une procédure est sidérant, tant les cas de déni de justice sont fréquents. Tant la manière dont la loi, rendue, est-il besoin de le rappeler, au nom du peuple français, constitue une violence supplémentaire. Encore plus grave et plus insupportable puisqu’elle ne provient pas d’un criminel mais d’une institution de la République.


iA !

27
Juin 09


Cheb Mami et la juge


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aquaesextiae - Le 06/03/2012 à 02:09

Bonjour, merci pour votre réaction, salvatrice car remettant un peu de bon sens , de morale et de décence dans une affaire remarquablement minorée par les médias; je me fiche du cas "cheb mami" (de façon générale les coupables m'importent guère) mais en revanche comme vous je suis ulcérée de voir que le lieu censé garantir l'équité et la plénitude de décisions très attendues et observées, la Justice elle-même, forte de toutes ses prérogatives et prétentions, faillit dans l'exercice-même de son rôle: rendre pleinement justice aux victimes, et ce par des manoeuvres quasi sophistiques. Aberrant. J'ai moi-même dû porter plainte pour des violences, étayer, prouvées, reconnues, admises, et j'avais "la chance" de n'avoir jamais répliqué (même pas en légitime défense), la "chance" d'avoir une rhétorique posée et maitrisée pour m'expliquer (la justice est aussi une affaire de mots, donc sociales) et la chance d'avoir un avocat consciencieux. Eh bien trois ans après les faits et la plainte qui a suivi, toujours pas de jugement, une mise en examen pour violences avec armes mais qui peine à reconnaître la circonstance aggravante d'ex concubin pour mon agresseur, dont le procureur a pourtant écrit qu'il avait été "affecté par la rupture" ! On atteint là encore des sommets d'illogisme et il faut sacrément être humain et digne pour ne pas soit tout casser soit devenir fou. La Justice n'est pas toujours juste et s'inquiète souvent plus des coupables que des victimes. Je ne l'aurais jamais crû mais c'est cela la réalité brute à laquelle je fais face. Merci en tout cas pour votre article qui au mot près rejoint les conclusions telles que j'aurais pu les tirer moi-même . Bonne continuation !


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