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Compañeros de ayer y de hoy

images-1Retour de deux jours en Catalogne, de Perpignan à Collioure, du Centro Espagnol à la tombe d'Antonio Machado en passant par la plage d'Argelès et sa stèle à la mémoire des exilés de la Retirada. Il faut toute la lumière du Sud et la pureté de la tramontane pour apaiser le chagrin tapi au coin des mots, des regards, de la complicité spontanée avec ceux et celles qui m'accueillent ici. Nous partageons cet étrange sentiment de trahir, si nous cessions de penser à eux, ceux qui payèrent si cher leur soif de liberté. Quelques pas sur le sable glacé et aujourd'hui désert d'Argelès et je sens avec une acuité saisissante la présence des vaincus qui l'arpentèrent par un autre mois de février, celui de 39. J'ai des bottes, ils avaient des espadrilles, j'ai un manteau, ils avaient une couverture jetée sur l'épaule. J'ai des gants, une écharpe et la certitude de dormir ce soir dans un lit bien propre après un repas chaud. Ils n'avaient rien. Plus rien. Et ça me fait encore mal, non pas seulement parce que mon père, et aussi ma mère, y étaient quand ils ne se connaissaient pas encore, mais aussi pour les autres, tout les autres. Un peuple entier, le mien. Devant la plage, un panneau rappelle la tragédie. Il est illustré par une photo, prise ici même où je me trouve. Ils ont vu la caméra, ils lèvent le poing. Je les vois, je crois les entendre. Du fond du malheur, ils expriment encore leur espoir et leur rage. Le coeur se serre, les larmes battent le rappel. L'émotion déborde, à chaque instant. Comme hier soir, devant les visages concentrés, attentifs, du public de la Cita Literaria sur l'Exil, organisé au Centro Espagnol. Après, il y eu des poèmes, des danseuses, des guitaristes. Nostalgie? Non, il ne reste plus que très peu de contemporains des événements. Juste une mémoire partagée, entretenue, aimée. Une émotion permanente.

Après la tombe de Machado et sa boîte aux lettres où arrivent quotidiennement des messages, on m'emmène visiter le château de Collioure. À l'époque des camps de concentration, les autorités françaises utilisèrent les geôles médiévales de la forteresse pour y embastiller les "fortes têtes" des camps de concentration. La plage d'Argelès, c'était encore trop beau, sans doute.... Dans un ouvrage paru en 2003, Grégory Turban décrit cette abjection ("Les séquestrés de Collioure" Perpignan, Mare Nostrum) avec tous les détails nécessaires. Avant notre visite, mes hôtes se sont étonnés de l'absence de toute allusion à cet épisode sur place, au Chateau. Le guide nous faisant visiter la forteresse affirme à plusieurs reprises ne rien savoir à ce sujet, et même être "demandeur d'information". C'est la meilleure. Il devrait être aux premières loges. Le secret est bien gardé, protégé. Le guide nous abreuve d'anecdotes insignifiantes, mais ne sait rien de ce qui nous intéresse. Le guide trouve alors quelque chose pour nous satisfaire: sur la porte d'une cellule, un graffiti. Gravé au couteau sur le bois. Le guide triomphe: là, regardez, c'est peut être un prisonnier qui a laissé ça. Nous nous penchons sur l'oeuvre de l'habile prisonnier: l'inscription est à l'extérieur de la cellule, du mauvais côté de la porte, hors d'atteinte de quiconque y serait enfermé. Au cas où ça ne suffirait pas, c'est marqué "Franco" et "Falange". Probablement le fait d'un promeneur, un touriste, pas particulièrement républicain, et bien après les événements... Trop c'est trop. On craque. Fou rire général. On bat en retraite. Ça se termine au café, autour d'une boisson chaude, on n'en peut plus de rire, on se re-raconte le truc, on en rajoute. Ceux qui cachent le passé du Chateau de Collioure doivent avoir les oreilles qui sifflent. Et on rit encore. Comme si on se connaissait depuis toujours, alors qu'on s'est vu hier pour la première fois. Mais il y a longtemps que nous partageons le même héritage.

iA!

 

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Fév 13


Compañeros de ayer y de hoy


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Espace commentaire

Lorente - Le 16/02/2013 à 18:08

Bravo, belle page d'hommage à ces espagnols dont certains de ma famille ont dû connaître le lieu (bien que je ne partage pas toujours totalement vos points de vue sur ce sujet qui vous tient à coeur et à moi aussi).

Isabelle Alonso - Le 16/02/2013 à 19:25

J'imagine bien que vous ne partagez pas TOUS mes points de vue, ça n'est ni possible ni souhaitable (même si le thème de l'exil est largement consensuel, surtout entre Républicains espagnols) mais je vous remercie de me le préciser! :-)



Bonnafous Sala Martine - Le 15/02/2013 à 17:28

Tu m'as fait pleurer. Mon pere faisait parti des refugiés de la plage d'Argeles, et je sais ce qu'il a vécu. Merci pour ce bel hommage.


ballester pierrette - Le 17/02/2013 à 18:18

je suis un peu comme vous mes racines ressemblent aux votres et j'essai de transmettre l'histoire de ma famille à ma fille .

Isabelle Alonso - Le 17/02/2013 à 18:22

Nous avons tous en commun cette volonté de ne pas les laisser tomber, et il me semble que ça dit beaucoup sur eux, sur ces hommes et ces femmes, vaincu-e-s magnifiques qui ne se laissèrent pas abattre.



lolivret - Le 01/03/2013 à 20:13

Isabelle, merci de ce rappel comme si "on y était" et où mon père a atterri en cet hiver de début 39 avec sa "manta". Décédé depuis bien longtemps, il est toujours là car je n'ai jamais cessé de chercher, de lire, de regarder des documentaires sur cette tragédie que fut la guerre civile espagnole. Il n'y a pas que les guides touristiques qui ne savent pas grand chose ; de l'autre côté des Pyrénées la répression, la peur et le silence ont fait leur oeuvre et annihilé beaucoup de mémoire.


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