Danielle Mitterrand était de cette génération d’irredentas (celles qui ne se rendent pas…) révoltées à vie par toutes les injustices. Elle demeurera dans ma mémoire juste à côté de ma mère. Si elles s’étaient connues, elles se seraient comprises parce qu’elles faisaient partie de la même tribu humaine. Celles qui montent la garde, qui ne veulent laisser personne en arrière, qui mettent leur énergie à pousser devant elles les brebis égarées et les chiens sans collier. A la fin de la guerre il était devenu si obscène que les femmes ne votent pas que même de Gaulle en eut conscience et força la main des parlementaires. Autrement on y serait encore. Merci à toi et à toutes celles qui n’eurent pas la chance de survivre. Je pense à vous chaque fois que quelque imbécile des deux sexes a recours à l’argument de la compétence pour contrer le droit des femmes à occuper leur juste place.
En pensant à Danielle, à cette image d’une toute jeune fille pédalant à perdre haleine sur quelque départementale, serrant entre peau et vêtements le pli qui pouvait la perdre, une autre jeune fille me vient à l’esprit. On m’objectera que ça n’a rien à voir, mais qui contrôle ses associations d’idées ? Je pense à une toute jeune fille qui, elle, n’aura jamais dix sept ans. Agnès était pourtant née en ce qu’il est convenu d’appeler temps de paix. Il faudrait nuancer l’expression. Le temps de paix, pour les femmes, c’est quand les violeurs n’ont pas d’uniforme. Pour son malheur Agnès a croisé le chemin d’un fantassin de cette armée des ombres que sont les violeurs. Obscurs mercenaires de l’ordre établi. On commence seulement à parler du « viol de guerre ». C’est bien qu’il existe un « viol de paix ». Pas d’officiers, pas d’état-major, pas de plan de campagne et pas de champ de bataille. Pas la peine. Juste le très vieux rouage d’une fonction ancestrale : maintenir les femmes sous le boisseau. L’ordre patriarcal est à ce prix, faut croire.
Quel gouvernement s’est-il attaqué à la question pour de bon ? Aucun, jamais. Et quand on lit les réactions des politiques après la mort d’Agnès, on se dit ce n’est pas demain la veille. La parité, ça devra aussi servir à ça : que jamais on ne déclare que la « psychiatrie n’est pas une science exacte » pour justifier d’avoir lâché un violeur dans un internat mixte. Pour ne pas risquer l’irréparable, n’aurait-il pas suffi d’écouter la parole de la première victime ? Elle sait, elle, ce qu’elle a lu dans les yeux du violeur et elle sait qu’elle n’a dû la vie sauve qu’à un concours de circonstances. Elle a eu la chance qu’Agnès n’a pas eu. Confier à la providence le sort des jeunes filles, quel progrès... Danielle, sur son vélo, avait choisi le risque qu’elle prenait. Elle savait qu’elle se battait, et elle savait contre qui. Agnès, elle, est tombée au champ d’horreur de la barbarie, mais aussi du déni, de la lâcheté, de l’incompétence et de la non-assistance à personnes en danger. Comme, rien qu’en 2011, Océane, Anne, Marie-Jeanne, Aurélie, Patricia, Laura, Laetitia.... Comme, avant 2011, Natacha, Marie-Christine, Stéphanie, Nelly, Jeanne-Marie, Ophélie, Cassandre, Houria et tant d’autres, tant d’autres, toujours, partout, depuis la nuit des temps....
iA