< Retour aux articles
Dans ma cuisine...
On ne se refait pas. Je suis réfractaire à la discipline. On me donne un ordre? On m'intime une attitude? On m'impose un règlement? Je remets en cause, je révolte, je m'oppose. C'est épidermique chez moi. Sauf si je comprends les raisons de l'assignation. Assignation à résidence, ça sonne mal, ça sonne prison, enfermement, asphyxie. Mais ce confinement je le respecte parce que ce sont des soignants, des pros, qui le demandent, pour des raisons essentielles, qui tiennent à l'intérêt général. Une question de vie ou de mort. J'applique, sans états d'âme.
Mais bon. Une fois bouclée à la maison, j'ai besoin de me sentir exister, quand même. Les possibilités sont limitées. Que faire?
J'ai déménagé! Un déménagement aux couleurs des temps. Un déménagement très localisé, puisqu'au lieu de changer d'appart, j'ai changé de pièce. J'ai quitté mon bureau, orienté à l'ouest, professionnel, dos au soleil le matin. Et j'ai posé mon ordi portable sur la table de ma cuisine, une grande table accueillante et joyeuse, évocatrice de réunions familiales rigolardes. Par la porte-fenêtre ouverte sur le balcon, le soleil à cette heure pénètre profond dans la pièce... Ça sent le printemps...
Tout à l'heure, un rayon de soleil a illuminé brièvement la photo de mariage de mes parents, posée sur un rayonnage et sujet du roman que j'écrirai après le livre qui me fait transpirer en ce moment. Quand, ce roman, je l'aurai écrit et que vous le lirez, vous connaîtrez le secret de cette photo... Ils sont là, jeunes pour toujours, figeant pour l'éternité un moment de dictature de plomb, d'Espagne des années cinquante, un pays entier confiné par la peur des arrestations, de la torture, des geôles et des exécutions.
Comme s'ils me faisaient un clin d'oeil de l'autre côté du temps, pour me dire que notre confinement à nous, aujourd'hui, est presque luxueux, que c'est juste un mauvais moment à passer. Nous nous endormons le soir sans peur des coups dans la porte, à l'aube, qui signeront la fin du tout petit bonheur qu'on a réussi à préserver.
Je lis, sur des journaux de confinement, la tristesse de ceux qui regrettent de ne pouvoir passer embrasser leurs parents. Certes... Moi, ça fait des années que je sais que je n'embrasserai plus jamais les miens, je pourrais dire que j'ai pris le pli mais non, je ne l'ai pas pris... Votre absence me pèse, même si vous êtes là, comme toujours, pour relativiser, positiver, nous rappeler qu'aujourd'hui même, à l'heure où nous râlons sur les inconforts de notre petit exil domestique, vivent partout sur la planète des gens pour qui c'est vraiment dur. Je ne vais pas énumérer, nous le savons tous. Prenons en patience notre condition d'assignés à résidence temporaire. Solidaires et bien contents d'être vivants.