La production de l’émission ”On a tout essayé" m’appelle au téléphone. J’apprends que Jamel est l’invité principal de l’émission de demain, 23 novembre 2004, à laquelle il n’est pas prévu que je participe. Jamel a émis le desir que je sois là. Et quand Jamel émet un desir tout le monde se met en quatre, parce que Jamel est une star, une vraie. Jamel veut me voir ? Ben ça alors. Je suis surprise.
Et bien contente. S’il a souhaité ma présence, ça ne peut être que pour une seule raison : Jamel va parler des filles. Les filles des “ quartiers ” (euphémisme passé dans le langage courant et qui signifie “ ghetto de pauvres ”, plus clair mais moins joli). Dans l’absolu, que Jamel s’intéresse au sort des filles de quartiers dont il est lui même issu, y’a pas de quoi se taper le cul par terre. Mais on n’est pas dans l’absolu. On est dans le plus que relatif. Dans le showbiz issu des cités, rappers, musiciens, chanteurs, acteurs, animateurs, la solidarité avec les filles n’est pas de mise. On donne plutôt dans le mépris et le déni de la violence dont elles sont l’objet. Dans ce contexte, que Jamel se pose des questions est plutôt une bonne nouvelle. Ça devrait être normal, en fait c’est exceptionnel. Ça me réjouit donc à priori que Jamel ait souhaité ma présence. Les occasions de faire passer un message sont rares. Un haut parleur comme Jamel est une aubaine.
On m’apporte le DVD de son nouveau spectacle. Jamel est très drôle. Je le savais. Mais moi, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il dit des filles dans son spectacle. Un sketch leur est consacré. Il s’appelle Kadera, l’histoire d’une fille qui a oublié sa féminité (“ J’ai mes règles ça me casse les couilles... ”). Ça dure cinq minutes, sur un spectacle de 90. Ajoutez une allusion à Ni putes ni soumises, dans un autre sketch. Ce n’est pas grand chose. C’est mieux que rien. Parce que la simple apparition dans le discours est déjà un progrès par rapport à l’omerta habituelle. Les filles sont d’abord exclues du discours, sauf quand il s’agit de les tourner en dérision. C’est ce que je m’efforce de dire quand mon tour est venu, dans l’émission, de donner mon avis sur le spectacle de Jamel. Il s’ensuit un échange où Jamel admettra que la violence contre les filles est une mauvaise chose, mais que nous devons comprendre que les garçons sont en but à une telle violence sociale qu’il ne savent et ne peuvent que recréer de la violence en retour (air connu). Je réponds qu’il n’y a pas plus d’excuse à la violence sexiste qu’à la violence raciste. Jamel n’irait pas, tout le monde en est sûr, trouver des excuses aux supporters de foot qui, quelques jours auparavant, ont proféré, depuis les tribunes, des insultes racistes contre les joueurs. Pourtant, il y a sûrement chez ces insulteurs, des chômeurs, des exclus et des cocus. Ça ne leur donne en aucun cas le droit de se comporter comme des sagouins racistes. Ça n’atténue en rien leur responsabilité. Le raisonnement s’applique de la même manière aux harceleurs de filles. Lâches, à l’abri d’un groupe, insulteurs et harceleurs font partie de la même catégorie humaine. Celle des fachos-fâcheux que tout démocrate cohérent se doit de combattre.
L’échange est diffusé in extenso. J’ai pu, en plus, parler des manifs du 26 novembre contre la violence anti-femmes. J’ai pu, aussi, discuter quelques instants avec Jamel, chaleureux, sympa, émouvant, qui se déclare prêt à discuter encore. Je suis une optimiste. Tout ça m’a l’air très positif, même si le fond du discours de Jamel consiste principalement à tenter d’expliquer la violence des garçons contre les filles par la violence sociale dont ils sont eux mêmes l’objet. Cet argument est bien evidemment inacceptable. Mais ce que je retiens c’est qu’il veut débattre et qu’il ne demande pas mieux que d’approfondir sa réflexion. Au point ou en est la situation des filles, ça me paraît jouable.
J’apprends le lendemain que l’émission a cartonné en termes d’audience. Merci Jamel. C’est pas tous les jours qu’on bat des records en parlant de la violence contre les femmes. Je laisse un message sur son portable. Je lui dis que la discussion, c’est quand il veut où il veut. J’ajoute que je serais ravie, aussi, de rencontrer Kader Aoun, qui co-écrit ses textes. Ils ont grand besoin, dans leur spectacle, de dénoncer la violence anti-filles. Et les filles ont grand besoin, pour survivre, d’un haut-parleur tel que Jamel. Il peut les aider, s’il veut, de manière spectaculaire. Parce que lui, il va être écouté. Le faire, c’est de la simple solidarité humaine. Ne pas le faire, de mon point de vue, c’est de la non-assistance à personne en danger. J’attends la réponse...