< Retour aux articles
Embuscade
Quatrième semaine. Premier jour. Je m'attends à ce que cette étrange expérience dure au moins jusqu'en mai. On parle beaucoup de l'après confinement, je m'en vais vous entretenir du pendant. Ça se passe comment? J'ai posé la question autour de moi, virtuellement, of course. À mes proches, qui ne le sont plus physiquement mais, comme on dit, ça n'empêche pas les sentiments. Confinent à deux, ou en solitaire. Question: Qu'est ce qu'on faisait et qu'on ne fait plus? Première réponse, immédiate: "Sortir!" Mouarf. Je finis: Et qu'est ce qu'on ne faisait pas et qu'on s'est mis à faire?
Ma récolte:
Deux se sont lancés dans l'automutilation en se coupant les cheveux. Un homme, une femme. Lui s'est quasiment tondu, heureusement qu'il lui reste quelques semaines confinées pour que ça repousse et la possession d'une casquette pour faire ses courses. Quant à elle, elle se déclare ravie: elle y est allée au rasoir, mèche par mèche, a raccourci l'ensemble. Elle a trouvé ça facile et se déclare ravie du résultat. Elle n'a pas jugé bon de joindre une photo à son enthousiasme de figaro néophyte, vous devez donc vous contenter de sa propre opinion qui, après tout, est la seule qui importe.
L'épineuse question: "qu'est ce qu'on mange?" a recueilli une certaine diversité:
- J'essaie chaque jour une nouvelle recette, et pour manger je m'assieds à une place différente, histoire de découvrir une perspective nouvelle et me faire croire que j'ai des invités.
- Je sors le moins possible, je fais durer mes réserves, je ne mange plus que des conserves, des pâtes et du riz. Depuis que j'ai fini mon dernier saucisson, je suis passé, sans m'en apercevoir, en mode végétarien. Je pense que je vais le rester.
- Je ferais bien de la tortilla, mais non ! La tortilla, ça se mange à plusieurs, alors ça sera après, je ferai une fête et y en aura pour tout le monde !
- On croule sous les témoignages extasiés de ceux qui tiennent à partager leur art de vivre, si exquis, qui ont re-découvert l'oeuf au plat et le café au lait. Qu'est ce qu'on s'en fout! Moi, je ne saurais redécouvrir ce que je n'ai jamais découvert pour la bonne raison que je m'en fous! Les restaurants sont fermés? Tant pis! Je ne consacrerai pas plus de temps à la bouffe pour autant. Je suis passé en mode chimpanzé: amandes, cacahuètes, cajou, bananes. Le tout arrosé de café. Si après le confinement je ne sais pas grimper aux arbres, c'est à désespérer.
- Faut pas grignoter, qu'ils disent! Ça me gave. Au sens propre. Je veux bien ne pas sortir, mais faut pas m'en demander plus. Obéir, c'est pas mon truc. Et comment que je grignote! Et je picole, aussi! Tout ce que je m'interdis d'habitude. Faut bien se faire plaisir. Je vais grossir? La belle affaire! Je maigrirai après. Chaque chose en son temps.
Et le sport, dans tout ça? Personne ne sort, je ne connais pas de resquilleurs. Alors? Alors on se débrouille avec les moyens du bord et une motivation fluctuante... Voilà:
- Je fais mon Churchill. No sport.
- Une minute de planche, puis je descends mes six étages et je remonte par les escaliers.
- Mes clientes m'en réclament, alors je donne mes cours par vidéo, ça m'entretient. Je ne peux même pas me laisser pousser les kilos en paix...
- Crunches, squats, burpees, push-ups, jumping jacks, climbers, la routine, quoi! Et juste après, chips, twix, mars, snickers...
- Je danse, je saute, je bondis, zumba, salsa, rumba, à fond dans mes écouteurs...
- Vélo d'appartement. Je transpire en écoutant la radio.
- J'ai mis une barre dans mon couloir, je fais du TRX, des portés avec ma fille (quatre ans), je l'initie au trapèze. Une heure par jour, minimum.
- Je fais mes tibétains. Tous les matins. C'est tout. Et c'est beaucoup.
Ah! Les tibétains! Je partage sur
cette vidéo! Moi aussi je les fais.
Et avec ça? Le taf, le boulot, télétravail ou ménage, corvée ou loisirs? Ça se passe comment? On se lave, ou pas. On s'habille, ou pas. On procrastine, ou pas. Fil Whatsapp:
- Tous les trucs que je n'ai jamais le temps de faire, à cause du boulot, je me disais je vais enfin avoir le temps! J'ai le temps, mais je ne les fais toujours pas. Sauf que là je n'ai plus d'excuse. Je me sens super mal.
- Moi je n'ai jamais eu l'excuse du boulot, je bosse pas. Donc je ne me sens pas plus mal. Limite mieux, parce qu'il y a comme de l'irresponsabilisation dans l'air, genre on en a assez fait si on est pas sorti. Ce n'est pas moi qui vais forcer la dose... Je me comprends.
- Tout est la faute à corona, c'est lui qui me déprime, me vide, me paralyse, m'ankylose... et en plus il pleut!
- Il pleut? C'est l'occasion de sortir mon parapluie favori! Sur mon balcon, bien sur, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit...
- Moi, j'arrête pas. Chez moi, j'ai tout trié, dépoussiéré, nettoyé à fond. Et je m'occupe de moi: je me fais des masques, des gommages, des massages. Le lis, je regarde des séries. Je vais finir surmenée.
Et à 20 heures, on applaudit. Ou pas.
Moi oui.
Le confinement est une embuscade de soi-même.