Ça c’est du scoop ! Du vrai de vrai ! Le Nouvel Obs met fin, enfin, à une vieille idée reçue qu’il était temps de combattre comme il se doit… Il convenait d’anéantir un préjugé tenace. La couverture du magazine révèle que les féministes seraient des femmes comme les autres ! Bien que féministes ? Oui, c’est ça ! Bien que féministes, elles auraient non seulement une vie sexuelle, c’est inouï, mais également… des amants ! Le scoop des scoops en ce début 2008 ! Vous avez bien lu : elles baisent ! Et pas seulement avec des gaude-mihi [1] , ou entre elles, ou avec quelque partenaire étrange et non répertorié, animal ou végétal, mais, tenez vous bien, avec… des hommes ! C’est à ne pas croire… Des hommes normaux, valides, hétéro, libres, s’accoupleraient de leur plein gré avec ces êtres opaques et moustachus, à l’esprit retors et au vagin probablement piégé ? L’Obs n’hésite pas à affirmer cette stupéfiante réalité ! Il vole au secours des féministes en général et d’un de ses plus célèbres fleurons en particulier : Simone de Beauvoir ! La voici, enfin, il était temps, traitée comme une vraie femme digne de ce nom : à poil en couverture ! Comme Miss France, Sharon Stone ou Clara Morgane ! Vingt ans après sa mort, Simone de Beauvoir passe haut la fesse son certificat de baisabilité en dehors duquel il n’est pas de gloire féminine légitime. Il était temps que l’Histoire juge le Castor à l’aune des vraies valeurs : bon, d’accord, elle écrivait, elle avait des idées, mais ayons le courage d’aborder la question de fond (de culotte) : était-elle baisable ? En clair : un homme, un vrai, ou plusieurs, s’intéressaient-ils à… non, pas son esprit, qu’est ce qu’on s’en fout ! A son cul !
Contexte historique. En 1949, quand SdB, (Simone de Beauvoir, et non Salle de Bains comme la couverture sus-mentionnée pourrait le laisser penser) publie « Le deuxième sexe », elle fait scandale. Elle provoque un tsunami médiatique, et très masculin, vu l’état de la mixité ambiante dans la vie intellectuelle française de l’époque. Les messieurs qui tiennent le crachoir de l’immédiate après-guerre se déchaînent contre elle. Ils sont tout dégoûtés. Quand on se laisse aller verbalement au sujet d’une femme, surtout si elle se permet de donner son avis sur la sexualité, la première qualification qui apparaît décline le concept de gourgandine peu farouche et portée sur la chose, ce qui normalement suffit à la disqualifier. Avec le temps, une autre idée, parallèle, contradictoire mais tout aussi ravageuse, ajouta une dose de logique machiste à cette brillante analyse : en fait, ces saletés de féministes sont des frustrées, des peine-à-jouir, des qui baisent pas, des laissées pour compte, des qui la ramèneraient moins si on leur jouait plus souvent un petit air de mirliton... Ils sont comme ça, nos compères. Peuvent pas s’en empêcher : ils méprisent les femmes soit parce qu’elles baisent trop soit parce qu’elles baisent pas assez, l’essentiel étant de les conserver sous mépris. Ou plutôt ils commencent par détester les féministes parce qu’insoumises, et après ils cherchent un prétexte à leur répulsion. Ils le trouvent, devinez où, du côté du cul. Elle baise ou elle baise pas, that is the question. La réponse se retournera contre elle de toute façon.
On n’est plus en 1949 ? Non, on est moderne maintenant. Simone de Beauvoir aurait eu cent ans cette année. Il s’agit de lui rendre hommage. On s’est gratté la tête, à l’Obs, pour faire original et surprendre les lecteurs. C’est qu’il faut vendre, n’est-ce-pas. Simone, la féministe au look un brin austère, limite revêche, avec ses turbans et son air pointu, on en a tellement parlé qu’on se demande ce qu’on pourrait ajouter. On va quand même pas admirer, réfléchir, débattre, comparer, imaginer, contester les milliers de questions encore brûlantes soulevées par ses écrits. Ça serait trop chiant, par ces temps de mise à l’air permanente [2] et de pipolisation. À l’heure où les magazines « sérieux » se font bouffer le lectorat par la presse trash, il s’agit de frapper un grand coup.
Alors le Nouvel Obs s’arme de courage, ose laver une injustice, établir la vérité ! Soixante ans après, enfin une occasion de réhabiliter celle dont on a trop malmené l’image ! L’hebdo transgresse grave ! Et n’hésite pas à affirmer haut et fort que Simone était « scandaleuse ». Par la publication du « Deuxième sexe » ? Merci, ça, tout le monde le sait, coco, et tout le monde s’en tape. Ça aurait fait une couverture en 1950, mais aujourd’hui, faut muscler le concept si tu veux écouler le produit, c’est le béaba du marketing, t’as pas autre chose ? Mais si ! Scandaleuse elle l’était, donc, mais pas par ce qu’elle écrivait… Scandaleuse parce qu’elle baisait ! Oui ! Malgré son féminisme exacerbé, elle trouvait preneur ! Waouh ! Y’en a des courageux ! Parfaitement ! Coincée elle ne l’était pas, et on va vous le montrer ! On a une preuve irréfutable ! Plus qu’une preuve ! Une image ! Ça vous la coupe, hein ?
Bon, j’ai vu, et je suis un peu déçue. Vous êtes sûrs de ce que vous avancez, au sujet de Simone ? Tout ce que je constate, sur la photo, c’est qu’elle se mettait à poil pour refaire son chignon. Je suis désolée, le cliché est certes encourageant, on sent qu’on est sur une piste, mais il ne constitue pas une preuve formelle de vie sexuelle, et encore moins de qualité « scandaleuse » de la dite-vie. Chignon et vie sexuelle ne sont pas forcément liés, ni d’ailleurs contradictoires, tous les experts vous le diront… « Simone la scandaleuse mettait des épingles dans son chignon ! » Bof. C’est pas une preuve sexuelle. C’est juste une preuve capillaire. A part ça, si le scoop c’est qu’elle avait des fesses, je dois avouer que je m’en doutais depuis longtemps… Les amputés de la fesse sont rares, même à Saint Germain des Prés. Irréfutable, son fessier, certes. On peut tout au plus en déduire qu’elle hébergeait aussi, côté pile, le reste de l’équipement permettant de s’envoyer en l’air. Mais pas davantage. Hypothèse plausible mais non démontrée ! L’Obs a manqué de rigueur scientifique, sur ce coup là…
Que dire de la mise à l’air d’une des grandes penseuses du féminisme du XXème siècle ? Tient-on vraiment à valoriser sa pensée en la montrant nue ? Personne n’y croit, évidemment. Et d’ailleurs, on ne voit pas à quelle cause un tel effet serait dû. La nudité n’est pas anodine. Elle donne à voir de la beauté ? Certes, éventuellement. Mais ça, c’est un point de vue de spectateur. La personne nue elle-même est clairement en position d’infériorité. Ce sont toujours des subalternes sociaux qui sont à poil. Même dans des situations sublimées, comme pour les danseuses de cabarets, la nudité est aménagée, à grands renforts de maquillage et d’éclairage, la peau n’est pas exposée sans filtre. Quant au prestige et au pouvoir, ils sont entièrement recouverts de textile, du général au pape en passant par le roi ou le président. La première humiliation infligée à un prisonnier est le déshabillage et quand on tondait les femmes à la Libération on en profitait au passage pour les débarasser de leurs vêtements, ça accentuait la cruauté de l’exercice.
Ce n’est pas Simone de Beauvoir qui a décidé de cette publication. Ce sont des tiers qui ont décidé que cette photo dit quelque chose. Mais quoi ? Que Simone, vingt après sa mort (n’oublions pas qu’une bonne féministe est une féministe morte), doit être remise à sa place. Sa place de dominée dans le grand cirque machiste. Donnée à voir. Exhibée. Jamais on n’aurait l’idée de publier une telle photo de Sartre, de Camus, ou de quelque auteur masculin que ce soit, et d’ailleurs, quand bien même on le ferait, la signification serait autre. Il n’y a pas de symétrie entre un corps de dominant et un corps de dominé. Simone est clairement traitée en femme, livrée aux voyeurs. En quoi est-ce supposé être intéressant ? Une femme peut être brillante, intelligente, cultivée et intello, mais elle doit d’abord, avant tout, être désirable. Autrement elle n’a qu’à aller se faire voir. Non, justement, autrement on ne la voit pas. Elle n’existe pas. Mais, concomitamment, une fois que cette baisabilité est constatée, le taux de crédibilité de la dénudée s’en trouve oblitéré. Sa pensée passe à la trappe.
Début janvier, Luc Ferry, sur LCI, exécute l’écrivaine de manière expéditive : « Simone de Beauvoir n’est ni une bonne philosophe ni un bon écrivain ». Et voilà ! Soixante ans plus tard, cette femme révulse toujours autant la virilitude orthodoxe. Le lendemain, Philippe Tesson, chez FOG, la remet en cause au prétexte que ses belles théories sur la liberté des femmes seraient battues en brèche par ses pratiques amoureuses empreintes de soumission à son amant. Comprenez qu’aujourd’hui encore, et même si la publication de « Le deuxième sexe », quoi qu’on pense de son contenu, constitue un événement majeur pour les femmes, elle dérange toujours : l’un la juge mauvaise, l’autre estime que ses contradictions personnelles disqualifient sa pensée. Moi, c’est ça qui me la rend vraie, la savoir confrontée aux mêmes contradictions que toute femme. Comme nous toutes qui essayons de vivre face à une culture qui nous est hostile. Vent debout. Beauvoir dérange encore. Elle demeure polémique parce que les questions qu’elle a soulevées il y a un demi siècle reste posées.
On attend la suite. Toutes à poil. Les vivantes et les mortes, les malades et les prisonnières. Hillary dans son bain ? Trop soft. Ségolène en bikini ? C’est fait. Taslima Nasreen en string ? Pas mal… Et les seins d’Ingrid Bettancourt ? Ça, ça serait top, coco…
iA !
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Suzanne B. - Le 30/12/2015 à 02:19
S'il est une femme qui a été ridiculisée, c'est bien elle! Et pourtant, n'est-elle pas aujourd'hui plus populaire que Sartre qui à bien des égards, a manqué de lucidité. J'ai lu et entendu des horreurs sur elle, sur ses mœurs: détournement de mineures et rabattage pour Sartre de jeunes femmes. C'est malgré tout une penseure que j'admire et elle a été féministe radicale dans sa vieillesse! Juste être féministe en 1939, c'est génial!
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Suzanne B. - Le 30/12/2015 à 15:43
Pardon! en 1949 année de publication du Deuxième Sexe.
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