Imaginons un lion interviewé au sujet de la loi de la jungle, ou un requin invité à donner son avis sur la loi du plus fort. Il y a fort à parier que leur avis diffèrerait considérablement de celui de l’antilope ou de la sardine. Les prédateurs ont de l’indulgence pour les injustices dont ils sont bénéficiaires. Les réactions des hommes de pouvoir, et aussi de certaines de ces femmes qui jouent les ramasseuses de miettes en se mettant dans leur sillage, sont du même tonneau. La terminologie utilisée par le ministre de la Culture de la République Française après l’arrestation de Roman Polanski en dit long sur la « solidarité simple de l’artisanat » pour reprendre la formule de Brassens. Pour Frédéric Mitterrand, le cinéaste a été « …jeté en pâture pour une histoire ancienne qui n’a pas vraiment de sens... ». Jack Lang ex-titulaire socialiste du même portefeuille, ajoute : « En Europe ces faits seraient prescrits ». Bernard Henri Lévy, défenseur de (presque) tous les opprimés déclare « Il n’y a pas de victime ».
Rappelons les faits. Anciens, certes. Mais le millésime ne change rien sur le fond. Les protagonistes : une fille de treize ans qui espère un engagement professionnel (ou sa mère l’espère pour elle…), un cinéaste de quarante trois ans, star internationale depuis déjà des années. Il la fait boire, lui fait avaler un tranquillisant et la viole. A ce moment là de l’action, on se dit quelle misère. Quel mépris. Quelle sexualité de merde. Ça peut être beau, pourtant, le cul. Mais Dieu que ça peut être pourri.
"Pas de victime" ? "Histoire qui n’a pas de sens" ? "En Europe les faits seraient prescrits" ? Certes. Et alors ? Des actes similaires se produisent constamment, dans le silence et la honte des victimes. Dans l’autosatisfaction et le sentiment de légitimité des abuseurs. L’affaire et les réactions qu’elle suscite illustrent à quel point nous vivons dans une culture du viol. La sexualité masculine est encouragée dans sa dimension prédatrice. Cultivée, développée, dès le plus jeune âge, vers les attitudes de domination. Le corps de l’autre (fille ou garçon, mais le plus souvent fille ou femme) est un droit de l’homme. Vas-y, sers toi, tu seras un homme mon fils. Ils arrivent à la soixantaine, sont au faîte du pouvoir et se solidarisent spontanément avec un abuseur au prétexte qu’il a du génie, que les faits remontent à loin, que la victime oh, la victime n’était pas si victime , mon bon Monsieur…
Et oui ! Ça n’a pas loupé ! Il s’est trouvé un chroniqueur, Frédéric Bonnaud, sur le plateau de l’émission de Guillaume Durand « L’objet du scandale » (France 2, 30/09/09), pour utiliser des arguments que l’on croyait oubliés depuis des décennies et qui ressortent spontanément dès qu’on touche au sacro-saint droit à abuser des femmes. Pêle-mêle, Frédéric Bonnaud assène que la « jeune femme » (sic) n’avait pas vraiment 13 ans , mais presque 14 (ça change tout, pas vrai ?), et que de surcroît, elle avait l’air d’en avoir… 16 à 17 ! Ah la traîtresse, la manipulatrice ! De plus, elle avait perdu sa virginité à l’âge de… 8 ans ! Frédéric Bonnaud n’en déduit pas qu’elle a déjà été violée à un âge plus que tendre (quoique, on peut imaginer qu’à l’époque elle en avait presque 9 et qu’elle en paraissait 11, cette faux-jeton ) mais qu’elle avait déjà « une vie sexuelle active ». Déchiffrons le message de Bonnaud : c’était pas une première main, peut-on alors parler de viol ? D’autant plus, ajoute-t-il, que la petite (pardon, la trompeuse femme de presque 14 qui n’en était pas à son coup d’essai…) avait déjà l’habitude de se droguer ! Que voulez vous qu’il fasse, ce pauvre Roman, à peine âgé de 43 ans, avec sa petite taille et sa frimousse enfantine ? Le malheureux a été abusé dans sa candeur par les agissements sournois de la gueuse qui avait des heures de vol ! Il ne s’est trouvé personne sur le plateau pour réagir aux propos de Bonnaud à la mesure de leur dégueulasserie. Et face à l’écran on se demande à quoi peut ressembler la vie sexuelle de quelqu’un qui tient un tel discours. Misère, encore…
La sexualité masculine est-elle spontanément, naturellement, biologiquement ce cloaque monstrueux qui détruit la vie de quiconque se trouve au mauvais moment et au mauvais endroit ? Evidemment NON. Mais elle est canalisée par les traditions culturelles vers des comportements extrêmes, non seulement impunis mais institutionnalisés. Il est temps de remettre en cause ces traditions. Il est temps que les hommes qui ne se reconnaissent pas dans cette sexualité pathologique l’affirment haut et fort. Il est temps de réprimer ensemble cette violence. J’entends piailler d’ici ceux qui ont toujours confondu liberté sexuelle et liberté de violer. Et qui se soucient comme d’une guigne de la liberté et du plaisir des cibles historiques des abus masculins. Et aussi de leur intégrité et même de leur vie. Quelques jours après l’arrestation de Polanski, une joggeuse, Marie-Christine Hodeau, était kidnappée et assassinée par un récidiviste en liberté. On n’établit aucun rapport entre ces deux affaires. Pourtant, même à des degrés différents, il s’agit de négation de l’autre, de mépris, de réification.
Quid de la culture du viol dont nous subissons l’expression et les effets au quotidien ? Quid de l’exhibition permanente du corps des femmes ? Quid de la mise à mort des personnages féminins par des personnages masculins, cliché persistant de la fiction ciné-télé ? Quid des clips singeant jusqu’à la nausée l’imagerie de la prostitution ? Quid de la fascination pour les tueurs en série, le plus souvent tueurs de femmes et de petites filles ? Quid de la banalisation, par la pornographie, de l’humiliation et des mauvais traitements sur les femmes, dans une surenchère permanente de brutalité ? Quid de l’indulgence pour la « machiste attitude » des hommes de pouvoir et leurs passe-droits sexuels, de Clinton à Strauss-Kahn en passant par Ted Kennedy et tant d’autres dont on vante sans vergogne les performances donjuanesques sur leurs inférieures hiérarchiques ? Quid des conséquences de l’hypersexualisation ambiante sur la vie sexuelle de tout un-e chacun-e ?
On ne parle pas de ça. On préfère se demander quel est le rôle de la Suisse dans l’arrestation de Polanski et prôner la castration chimique sur les agresseurs de femmes. On noie le poisson, on regarde ailleurs. Le pouvoir est confisqué par les requins et les lions. Tant pis pour les sardines et les antilopes.
iA !
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Un castré. - Le 03/08/2018 à 14:44
Bonjour. Merci pour ce très brillant article. Peut être pourrions nous insister sur la nécessité d'abroge la loi qui interdit la castration physique volontaire des déviants sexuels récidivistes ? ;-) Peut être pourrions nous faire une campagne pour dédramatiser la castration physique qui jusque dans les années 60/70 était encore pratiquée sur les hommes aux comportment impudiques récurrents ?Cette castration qui ne doit pas être "honteuse et mutilante" , mais au contraire libératrice ? Cette petite opération est définitive,simple ,sans effet secondaire . Beaucoup d'hommes la demandent vainement . Est 'il plus rentable de laisser un prédateur multirécidivistes avec ses pulsions incontrôlables ,faire pleurer les femmes meurtries ? Vaut 'il mieux enrichir les actionnaires de la castration chimique en distribuant des drogues aux effet peut être toxiques ? Vaut 'il mieux entretenir un système qui nous prend pour des enfants attardés ? Avec toute mes amitiés .
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Isabelle Alonso - Le 03/08/2018 à 17:35
J'avoue que je n'avais pas pensé à cette éventualité? Le débat est ouvert!
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Un castré - Le 04/08/2018 à 08:44
Bonjour,Isabelle. Merci de m'avoir accordé cette opportunité pour m'exprimer . Les hommes sont aux prises avec leurs pulsions sexuelles impudiques et n'ont parfois pas d'autre choix pour leurs échapper a cette tyrannie que de penser a devenir eunuque ? Je pense que cela existe depuis des millénaires .Le culte de Cybèle en est un exemple .La castration a depuis très longtemps été une pratique qui a permis de vivre en paix dans la société ? A l'époque ou l'esclavage était une institution accepté par tout le monde ou presque ,le droit de propriété allait jusque a encourager la castration, parfois totale des esclaves domestiques pour qu'ils deviennent pudiques ? Aujourd'hui la rentabilité oblige,le pouvoir interdit cette pratique ,mais, les choses ont finalement changées en bien ? Amitiés .
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Isabelle Alonso - Le 05/08/2018 à 11:25
Ne me remerciez pas, ceci est un espace ouvert, et modéré seulement en cas d'insultes. La liberté d'expression est une valeur essentielle. Autant vous dire que pour autant je ne vous suis pas la préconisation de la castration. Les mutilations quelles qu'elles soient ne font plus partie de l'arsenal judiciaire depuis longtemps. Seule la préservation de la vie d'un-e malade, ou la perspective d'une greffe autorise les médecins à prélever une partie de corps humain. Vous dites que l'esclavage fut, à certaines époques, 'accepté par tout le monde", je ne le crois pas. Je pense pouvoir affirmer que les esclaves eux mêmes n'étaient pas très fous du système! La criminalité sexuelle, le viol, les agressions, seraient moins nombreux s'ils étaient vraiment réprimés. Nous vivons dans une culture du viol qui dé-responsabilise les prédateurs, les encourage. Un violeur sur cent va en prison. Pas besoin de castrer, il suffirait d'enfermer. Et préventivement, d'inverser l'éducation.
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Un castré. - Le 06/08/2018 à 10:37
Bonjour. En effet la liberté d'expression semble se réduire tous les jours un peut plus.Lorsque je dis "tout le monde " ,c'est pour dire que leur système a la parole , alors que les esclaves comme aujourd'hui "n'ont pas droit au chapitre" .Même si la castration physique,ne fait plus partie de "l'arsenal judiciaire " ,elle reste pas moins un excellent moyen pour vivre en société conformément a ses lois et morale .Préférez vous que les déviants sexuels ,ne puissent pas contrôler leurs pulsions sexuelles et aller en prison et détruire leur vie ? :-D Vous pensez juste,en disant que les agressions sexuelles c'est sont un problème d'éducation de l'enfance . La sexualité, comme se nourri fait parti des instincts de base d'où les manques de contrôle des pulsions sexuelles parfois ". "La pornographie est avant tout pour moi une ouverture sur la liberté de phantasmer .Le phantasme est par nature du domaine de l’imaginaire .Il nous éloigne insensiblement de la réalité,jusqu’au jour ou nous nous retrouvons dans un désert hostile ? Pour ‘homme seul,c’est plus dangereux encore ,car,il n’ a personne pour le ramener sur terre . Il peut s’enfermer dans un monde virtuel qui peut le conduire a donner vie a ses phantasme qu’il est seul a aimer. C’est là que toute sorte de comportements pervers peuvent envahir sa vie au point de le pousser a devenir un prédateur redoutable ? La pornographie aide les déviants a s’affirmer pour passer a l’acte . Bye."
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Suzanne B. - Le 30/12/2015 à 15:21
On a l'impression malgré toutes les avancées technologiques que la sexualité est restée à `'âge de pierre!
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