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Glands de ce monde
Si on peut me citer une seule initiative féministe, UNE SEULE, à travers l'Histoire, qui ait obtenu des hommes qui nous gouvernent sinon l'approbation (ne pelletons pas les nuages, comme disent les ami-e-s québécois-e-s), du moins le respect dû à une question qui mérite débat, qu'on le signale, j'octroie d'emblée le clitoris d'or de la cause des femmes! Mais on ne trouvera pas. Car exercer le pouvoir sans jamais s'être soucié des droits des femmes, en n'ayant jamais lu un livre sur le sujet, en étant un parfait analphabète du féminisme, est la règle dans notre République. La fine équipe de fringants qui a gagné les dernières présidentielles n'y faillit pas: ils n'y comprennent rien et s'en soucient comme d'une guigne. J'exagère? Voyons de plus près...
Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, se revendique
“féministe”. Super nouvelle! Mais qu'entend-t-il par là? On se le demande. Voilà qu'il regrette
“un faux combat”. Vous savez, le faux combat, celui qui n'est pas, qui n'est jamais, le bon! Car le bon combat, si les écervelées de féministes savaient le formuler, obtiendrait aussi sec l'adhésion et le soutien de ces messieurs qui ont le pouvoir. Car ils sont féministes, ils l'affirment! Mais en l'occurrence, il peut pas, Jean-Michel: l'écriture inclusive, c'est juste pas possible. A t-il réellement réfléchi à la question? A t-il accepté d'en débattre démocratiquement avec celles qui y réfléchissent depuis des décennies?
Que nenni. Jean-Michel refuse l'écriture inclusive pour deux raisons:
D'abord parce que les élèves seraient incapables d'assimiler une telle notion:
"En ce qui concerne l'Éducation nationale, nous ne voulons pas de l'écriture inclusive. (…) Ma grande cause est d'apprendre à tous les élèves à lire, écrire, compter et respecter autrui. Ce défi est suffisamment grand pour ne pas le compliquer". En d'autres termes, les petits sont trop benêts ! Pour autant, il leur demande l'impossible: "respecter autrui", tout en continuant à apprendre, par la grammaire même, que les filles sont des laissées-pour-compte, des invisibles. Il a le féminisme à géométrie variable, notre ministre. Je suggère pour sa fonction une appellation plus précise: ministre de l'éducation nationale et machiste. Ça serait plus honnête.
Ce n'est pas tout. Le ministre va plus loin, et livre au pays le résultat de sa lumineuse pensée: le 15/11/17, devant l'Assemblée Nationale, après avoir rappelé que l'emblème de la France est une femme, et que le joli mot de "République" est féminin, il précise qu'il se montrerait
" vigilant pour qu’il n’y ait qu’une grammaire, comme il n’y a qu’une langue, une République" .
Oui, je sais, un tel niveau de réflexion, d'intelligence, d'expertise, laisse pantois-e. Jean-Michel Blanquer est au féminisme ce que la saucisse est au clafoutis. Dans sa tête, ça doit être une joyeuse mayonnaise. Il mélange tout.
Reprenons:
- Non, Jean-Michel, Marianne n'est pas "une femme". Marianne n'est pas un être humain. Marianne n'a ni corps; ni pensée. Marianne est une figure symbolique. Le XIXème siècle, période où les Françaises avaient à peu près autant de droits que les Saoudiennes d'aujourd'hui, regorge de figures allégoriques féminines, de l'Industrie à l'Agriculture en passant par la Prospérité et l'Education. Sans compter la Liberté, l'Égalité et la Fraternité, volontiers illustrées au moyen de celles qui n'y avaient aucun accès. Réduites par la volonté des patriarches à un objet de décoration, de désir, de fantasme, instrumentalisées en tant que symboles, niées en tant que citoyennes, les femmes résistent.
- Que le mot République soit "joli" (?) et du genre féminin n'implique rien. Dictature aussi est du genre féminin. Ainsi que tyrannie. Ainsi qu'injustice. Ainsi que tradition ancestrale. Ainsi que violence. Autant de pratiques de la République Française, via ses institutions, à l'encontre des femmes. Et "foutage de gueule" c'est quoi, comme genre?
Dans le monde de Jean-Michel Blanquer il n'y a qu'une grammaire, une langue, une République. Et qu'un sexe.
Le sien.
Féministe, dit-il...
Nous avons aussi un premier ministre, Edouard Philippe, qui s'est fendu d'une note réglementaire dont la conclusion pourrait être: on nuance, mais à la fin c'est le masculin qui gagne, puisqu'il est neutre!
La note précise"
Outre le respect du formalisme propre aux actes de nature juridique, les administrations relevant de l'État doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques, notamment pour des raisons d'intelligibilité et de clarté de la norme" puis: "
dans les textes réglementaires, le masculin est une forme neutre qu'il convient d'utiliser pour les termes susceptibles de s'appliquer aux femmes".
"Clarté de la norme"? La norme, c'est le masculin, la norme c'est eux, la norme c'est lui! Pour être clair, c'est clair: masculin et neutre, c'est pareil. Mais c'est bien ça qu'on lui reproche, à la grammaire! C'est exactement ce que l'écriture inclusive tente de désincruster: la mainmise du masculin sur l'universel.
Non, le masculin n'est pas neutre. Il est masculin! Il n'est pas apte à représenter le féminin. La grammaire n'est pas tombée du ciel. La grammaire est une idéologie, une machine à faire disparaitre les femmes. En imposant sans discussion ni argument la maintien d'une tradition injustifiable, Édouard Philippe ne prouve que son incompétence. Ou son machisme basique. Ou les deux.
Il faut dire que nos dirigeants ont de qui tenir. L'inspiration leur vient directement du quai Conti, où les académiciens ne manquent jamais une occasion de la ramener sur le sujet. Ils adorent. Ils ont pondu, le 26/11/2017, un de ses communiqués qui font le charme d'une institution séculaire au machisme boursouflé de cuistrerie. Voilà :
"
Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.
Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures".
Tout dans la sobriété! "Péril mortel"! Youpi! Notons qu'il y a quelques années, ils s'enflammèrent tout autant contre la féminisation des noms de fonctions. Aujourd'hui, on lit et entend dans les média ce qui les horrifiait alors: qu'on puisse mettre un article féminin devant le mot ministre s'il s'agissait d'une femme.
Les féministes avaient raison alors comme elles ont raison aujourd'hui. Elles doivent attendre, à chaque étape, que ce qu'elles proposent soient compris par leur-e-s contemporain-e-s. C'est le prix à payer quand on est en avance sur son temps.
Puisque je suis l'autrice (aïe! autrice! de quoi infecter une oreille académicienne!) du seul roman, à ma connaissance, écrit non pas en
français mais en
française, je ne résiste au plaisir de vous en livrer un chapitre (déjà publié sur mon site). Il s'agit de "
Roman à l'eau de bleu" (EHO, 2012), qui décrit un monde où les femmes ont toujours eu le pouvoir, trouve cela politiquement légitime et biologiquement justifié. Dans ce monde aussi injuste que le nôtre, je me suis amusée à paraphraser un authentique article de Maurice Druon de l'Académie Française. Ici, c'est Mauricette Luronne qui s'insurge contre les théories hoministes de Ben Wattgrew sur la masculinisation de noms de fonction:
"Kim prit la pile de quotidiens posés dès l’aube par les huissières, présentes sur les lieux vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Kim aimait lire le journal, et voilà que l’une de ses distractions favorites faisait partie de son travail. Il ouvrit La Figara, publication conservatrice et bien-pensante exprimant chaque jour à peu près le contraire des convictions de Kim.
Ce matin-là, un article de Mauricette Luronne, en première page, tentait de régler son compte à la masculinisation des noms de fonction. Kim n’avait pas lu trois lignes que sa main droite se dirigea vers l’interrupteur de l’imprimante. À scanner d’urgence! Le dernier gouvernement comptait, grande première, cinq hommes ministres. On stagnait encore très loin du partage du pouvoir, mais c’était un progrès. Or ces hommes désiraient être appelés monsieur LE ministre et non plus monsieur LA ministre, comme le voulait l’usage. L’académicienne s’enflammait sur trois colonnes contre ce qu’elle considérait comme un barbarisme. Dans le style ampoulé qui avait fait sa réputation, elle y allait de bon cœur : « ... Comme ces messieurs sont étranges! Voilà qu’après avoir glapi, gémi, réclamé haut et fort qu’on les traite comme les égaux des femmes, après avoir dénoncé les discriminations dont ils seraient l’objet, voilà qu’ils exigent un traitement spécifique! Logique masculine, sans doute... Rappelons ce qu’ils semblent ignorer : dans notre langue, qui ignore le neutre, le féminin est le genre non marqué, c’est-à-dire qu’il englobe la totalité de ce qui relève de l’un ou l’autre genre. Le masculin, genre marqué, ne représente qu’une catégorie à l’intérieur de l’ensemble. Il est de fait inclus dans le féminin, comme le fœtus, mâle ou femelle, est inclus dans le corps de sa mère ! La preuve : la forme masculine est parfaitement lisible dans le féminin! Ainsi, le mot députée renferme le mot député, le contient, lui donne un cadre et une existence ! A-t-on conscience de ce qu’une députée, si on appliquait la masculinisation, deviendrait... un député? C’est-à-dire une fraction, une partie de députée! Une députée avec quelque chose en moins, une sous-députée en quelque sorte, comme toute personne sachant lire peut le constater! Est-ce là l’effet recherché? Pourquoi ne pas admettre en toute simplicité que la forme première, fondamentale, est féminine, et que le masculin s’y inclut tout naturellement comme le veulent une tradition incontestée et une simple observation de la réalité biologique ! Libre à Ben Wattgrew de vouloir ridiculiser son sexe ! Mais on ne voit pas que les messieurs gratifiés d’un portefeuille le suivent dans ces errements! Ne vous en déplaise, on continuera à dire Monsieur la Députée, Monsieur la Docteure, Monsieur la Présidente, Monsieur la Directrice, Monsieur la Rectrice... À moins que d’aucuns choisissent de se faire appeler Monsieur le Rectum? On se prend à sourire devant tant de fantaisie! Dira-t-on assez la laideur de mots comme Directeur, Docteur, Président ? Et le grotesque de pompier, écrivain, entraîneur? On pardonne tout à un homme, sauf qu’il renonce au premier de ses charmes, la beauté. Ces mots sont laids, et notre langue refuse la laideur surtout quand elle est masculine. Demeurez donc féminins dans vos fonctions et masculins dans nos cœurs. Vous aurez droit à notre respect en tant que ministres et à nos hommages en tant qu’hommes. »
Sentinelle attardée d’usages dépassés par l’Histoire, veillant sur la langue comme on veille une morte, l’académicienne se lâchait. En plus, elle s’attaquait à Ben Wattgrew, écrivaine hoministe vénérée par Kim! Elle s’en fallut de peu qu’il créât un dossier « Vieille glande sexiste » rien que pour Mauricette ! Il classa finalement l’article dans le dossier médias. Il accomplissait un simple travail de documentaliste, certes, mais il avait la sensation de défricher un terrain abandonné qui avait grand besoin d’être tiré de sa désolation. Il devait explorer, retourner, ratisser, pour que d’autres après lui, puissent fertiliser et semer et que d’autres encore, un jour, récoltent les fruits de ce que Kim, patiemment, au fond de son cagibi et sous la houlette d’une députée qui s’en fichait comme de sa première élection, contribuait à mettre au jour.
(1. Citation parodique de l’article de Maurice Druon paru dans Le Figaro du 15 juillet 1997).
Espace commentaire
Marushka - Le 04/12/2017 à 00:52
Bravo, et merci. Que craignent donc ces hommes, pour paniquer ainsi devant des petits e? Une grande partie de leur pouvoir doit être dissimulée dans la langue, pour que l'idée qu'elle devienne moins machiste leur soit aussi insupportable...
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Deheegher - Le 06/12/2017 à 18:48
Vous avez toute mon admiration, Isabelle. Il est clair que, lorsque l'on scrute l'histoire, les livres qui l'expose omettent presque volontairement toutes les femmes de pouvoir, comme de lettres, qui ont jalonné cette histoire. Catherine de Médicis, Christine de Pisan, la princesse Palatine, George Sand, Aliénor d'Aquitaine, etc ... Je ne saurai les dénombrer toutes. Vous êtes une femme qui compte, et votre charme égale votre talent. Mille baisers à vous.
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sporenda - Le 01/12/2017 à 19:10
Je sens que je vais encore t'emprunter ce texte, Isabelle. Merci!
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Infos Avril 2018 – L'institut EgaliGone - Le 28/04/2018 à 00:45
[...] / Réaction – par Isabelle Alonso, Glands de ce monde, le 24/11/17, à propos des positions/décisions des ministres sur l’écriture [...]
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chester denis - Le 09/02/2018 à 00:03
merci d'avoir ramené le texte de l'académie fr. Quelle enflure ! quelle morgue ! aucun argument convainquant, mais un abus d'autorité, avec le doigt levé. "c'est nous qui codifions l'évolution" Nous sommes "garants de l'avenir" "notr nation est comptable devant les générations futures" Ridicule ! Les générations futures d'aujourd'hui vous félicitent pour la guerre de 40, celle de 14 celle de 70, celles de Napoléon dans l'Europe, pour Rabelais dont la langue a disparu, etc. Allez, délectons nous encore : "Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures« .
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Saladino Daniele - Le 25/11/2017 à 10:48
Tout y est de l'hypocrisie des politiques ..Merci et bravo comme toujours Isabelle , les mots justes.
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