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Imprimante en rade

Unknown-4Je me marre toute seule. Fallait que ça 
arrive! Dans le fatras actuel, j'aurais du mal à me faire prendre en pitié. Mais jugez plutôt: mon imprimante, autant dire ma compagne de travail, mon extension, ma prothèse, mon banc d'essai, mon indispensable, mon assistante muette, qui était en petite forme depuis quelque temps au point que j'envisageais d'en changer, a fini par rendre l'âme et le coronavirus n'y est pour rien. Ça ne pouvait pas louper. La scoumoune, pas le gros malheur, non, juste la petite déveine mesquine, m'a frappée en début de confinement. Peste soit des déficiences de la technique.

Car dans cette situation, se munir de la fameuse autorisation qui permet d'aller se réapprovisionner, voire, ce que je n'ai pas encore fait, y aller d'un petit tour à vélo histoire de m'oxygéner le cerveau et de me décrasser l'anatomie, devient problématique...

imagesJe l'ai écrite à la main. Enfin, je l'ai résumée, hein, j'ai estimé que l'éventuel pandore qui allait me la demander pourrait y reconnaitre les éléments de base de l'intrigue, les indices importants, l'alibi annoncé, la préméditation affirmée, et l'identification de la coupable. Moi. Je ne sais pas si vous êtes comme ça, mais dès qu'un agent de police m'adresse la parole, je me sens vaguement mal à l'aise, comme si j'avais quelque chose à me reprocher alors que bien entendu il n'en est rien. C'est que parfois le poulet est pointilleux, fait du zèle.  Cette obscure conscience que face à la force publique on ne contrôle rien, qu'on est à la merci de l'arbitraire, vient probablement de mon histoire familiale, de mon obsession des dictatures. Je ferais une piètre délinquante, une piètre clandestine, prompte à râler, persifler  et ruiner le profil bas adéquat en ces circonstances... .

images-1J'ai trouvé futé de l'écrire au crayon, l'attestation, dans l'idée qu'il me suffirait de changer la date pour mettre à jour un papier que je ne vais utiliser que pour acheter à manger, aussi peu souvent que possible... En ce douzième jour de confinement, je m'apprête à tenter une sortie. Aujourd'hui ou demain. Ça sera ma sixième. Sur mes cinq sorties précédentes, deux ont consisté à marcher deux cent mètres, aviser de loin la longueur de la file devant le magasin, et renoncer. Mes trois autres sorties, simples séances d'achat, une à la boulangerie et deux à la supérette, ont été rapides et efficaces, dans des rayons appauvris où je grapille de quoi survivre et aussi du chocolat, pour le plaisir. Moins d'une heure à chaque fois, trajets compris. Je n'abuse pas, donc. Je porte sur moi mon autorisation, la même feuille depuis le début, dont je change la date et l'heure avec ma gomme et mon crayon, pour l'adapter aux circonstances. Je n'ai pas vu l'ombre d'un flic, je suis dans la sérénité...

images-2Et voilà que j'entends à la radio qu'en cas de non possession d'une imprimante en état de marche, il faut recopier TOUT le texte de l'autorisation, (même dessiner les petites cases?) et à l'encre, s'il vous plait... Et le refaire à chaque fois? Ils plaisantent ou quoi? C'est qu'elle est longue la paperasse! On donne quand même un peu à une brimade, là. Beaucoup.

On ne m'avait pas fait le coup depuis l'école primaire:

-  Vous me copierez cent fois: "je ne me retournerai plus pour bavarder avec mes camarades"...  J'en ai copié des conjugaisons punitives, des odes à l'obéissance, des sentences sans appel. Pas une fois il ne m'a été demandé d'écrire un texte, de l'inventer, d'imaginer. Non. Il s'agissait de punir. Faire de ce geste essentiel une corvée, c'était bête. Il m'en est resté une réticence à la discipline.

Comme beaucoup, j'écris très peu à la main, le clavier a gagné, sauf dans les innombrables cahiers que je collectionne et que je remplis exclusivement au crayon. Je thésaurise les crayons bien gras, je me délecte de leur sensualité, leur rondeur, leur son sur la feuille, leur trace de charbon sur les lignes vierges, au gré de ce qui me passe par la tête.

images-4Mais là, ça n'a rien à voir. Gratter à l'encre un texte administratif longuissime et fastidieux, né de l'esprit rigide et contrôlant de quelque bureaucrate, je ne vois pas ce que ça ajoute à mon court papier, disant ce qui doit l'être, bien calligraphié, écrit gros, hyper lisible, dument tenu à jour. Je comprends que pour un document officiel destiné à rester dans l'administration, classé, archivé, l'indélébile soit de rigueur. Mais cette attestation n'est pas appelée à me quitter, je dois la montrer à un agent qui n'est pas censé la toucher ou alors je n'ai rien compris. Il la lit, vérifie mon identité et le tout retourne dans ma poche. Alors?

De plus, le temps de recopier tout le texte je risque de mourir d'inanition avec une tendinite au poignet droit... Tant pis. Je m'en vais défier les consignes et braver l'extérieur munie de mon simple viatique artisanal. Je vis dangereusement. Chuis une rebelle.

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Mar 20


Imprimante en rade


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Nicole Pradalier - Le 29/03/2020 à 21:52

Excellent le coup de la punition ! je n'y avais pas pensé parce que j'ai une imprimante qui fonctionne (je me suis justement félicité d'avoir eu à changer toutes mes encres une semaine avant le confinement, quelle chance!). En revanche j'avais trouvé scandaleux de demander un papier pour chaque sortie et même pour chaque case, scandaleux d'un point de vue économique, gâchis d'encre et de papier. Je compte tout de même sur l'intelligence de l'éventuel-le agent-e à qui j'expliquerai pourquoi je n'utilise qu'une feuille pour plusieurs sorties, en cochant au besoin la case adéquate et différente et en corrigeant le jour. Tout ça au stylo parce que j'ai une immense foi en l'intelligence humaine, même sous l'uniforme. Je suis sûre qu'au moins la première fois, je n'aurai pas à m'en plaindre. Pour l'instant je n'ai jamais eu l'occasion de montrer le papier. Je ne l'avais ressenti jusque là que comme frein à la spontanéité et donc entrave à la liberté. Mais comme c'est une auto autorisation, on peut s'amuser au dédoublement de rôle. Cependant, vous avez raison, il y a de la perversion assurée derrière ces exigences ridicules d'unicité. Merci pour ce billet!


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