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Invisible?

 

Aux alentours de 13h, le 4 mars, je mate "La Nouvelle Édition" de Canal+, animée par Anne-Elisabeth Lemoine, en intérim d'Ali Badou. La présentatrice évoque un article du Huffington Post, qui, selon un sondage du Laboratoire de l’Égalité, révèle que les Français jugent “intolérables” ou “énervantes” les publicités sexistes, mais qu'ils sont incapables de les identifier comme telles. En d'autres termes, le sexisme est scandaleux, c'est une affaire entendue, mais il n'apparait nulle part. On montre aux sondé-e-s des affiches dont le sexisme crève tellement les yeux qu'il en devient invisible. Le déni fonctionne à plein régime.

Ce sondage ne m'apprend rien. Le seuil de tolérance au machisme ambiant est très élevé, et nulle mortification n'est perçue de la même manière selon qu'on en est le bénéficiaire ou la cible. Question de point de vue. Ce qui se passe sur le plateau au moment où la présentatrice aborde le sujet en dit plus que le sujet lui même. Il y a trois femmes, Anne-Elisabeth Lemoine, Pauline Lefèvre et Émilie Besse. Toutes trois sont accablées par les photos, gratinées mais loin d'être rares, qui apparaissent à l'écran. Les deux chroniqueurs (Ariel Wizman et David Abiker), eux, se mettent immédiatement en mode humour distancié, genre oui la nana est à genoux devant le mec, mais elle est bien habillée alors que lui a l'air d'un blaireau, ou bien, c'est tellement énorme que ça doit être une blague, etc, vous connaissez le principe... Ils signifient par là que le  machisme leur est tellement étranger qu'ils ne peuvent qu'en sourire! Les filles sont assez nombreuses sur le plateau pour exprimer leur réprobation. Elles, ça ne les fait pas sourire du tout. Le second degré ne leur vient pas. Elles voient de l'humiliation où ils ne voient que du ridicule. Le machisme, c'est comme les coups de marteau sur la tête. Ça fait moins mal quand ça tape sur autrui.

Quelques minutes plus tard, on aborde un autre sujet. La marque "Mango" aurait commercialisé dans ses boutiques, rayon bijoux, une réédition d'un collier d'esclave, dont on montre une photo, de la même manière qu'on a montré les photos précédentes. Consternation générale. Pas la moindre trace de distanciation amusée. Le regard des deux garçons est empreint de gravité, leur visage se ferme. L'esclavage c'est du sérieux. On réprouve, on condamne. A juste titre? Bien sûr. Et à peu de frais. L'esclavage est aboli depuis très longtemps. Ça n'a pas fait disparaitre le racisme, mais quand on évoque le sujet, il est exclu que quiconque fasse preuve d'une ironique bonhomie.

Deux poids, deux mesures. Le commerce triangulaire a duré trois siècles. Le patriarcat dure depuis des millénaires, et ne saurait être aboli puisqu'il n'est même pas défini par la loi. Il EST la loi. La loi est faite du matériau mental de ceux qui l'ont écrite, et continuent à l'écrire. La Loi du Père est la Loi. Quelques rustines législatives en ont adouci les brutalités les plus flagrantes sans en affecter la nature profonde. Le machisme est tapi dans la loi comme l'huile de palme dans le Nutella. On ne peut l'extraire. Il faut changer les ingrédients. Et ça, ça n'a jamais été à l'ordre du jour. Ce qui n'est pas nommé n'existe pas.

Parfaite illustration sur le terrain, in vivo, du propos de l'article du Huffington Post. Ariel Wizman et David Abiker sont sympathiques, ils n'ont rien du blaireau arrogant, ni du facho brutal. Et rien d'original non plus. Comme tant d'autres, ils affectent une solidarité supposément évidente, qu'on ne saurait exprimer sans se couvrir de ridicule, comme on éviterait de formuler une lapalissade. Cette distance, ce second degré, cette légèreté affichée sont précisément les outils du déni.

Dans deux jours, le 8 mars...

iA!