Parce que ma mère le vénérait et avait tout lu de lui,
parce qu’il était né la même année que mon père et avait combattu du même côté,
parce que dans "L’écriture ou la vie" ou était-ce dans "Quel beau dimanche", il m’a fait comprendre l’essentiel de l’écriture : que la meilleure façon de dire la vérité est la fiction,
parce qu’il était de mon peuple de vaincus magnifiques, les Républicains espagnols,
parce qu’il incarnait ceux que l’Histoire pose en travers de deux pays et deux cultures, et qui en profitent pour multiplier leur vie,
pour toutes ces raisons et aussi sans doute parce qu’il était un si beau vieux, chevelure blanche, verbe haut et regard exigeant, j’ai pleuré, ce matin, en apprenant la mort de Jorge Semprun.
Un de plus, qui s’en va, et je me sens davantage orpheline. Il avait respiré le même air, senti les mêmes ondes et vibré aux mêmes chansons que ma mère et mon père, dans le Madrid de 1931 qui fêtait la République et le Madrid de 1936 qui la vit anéantir. Le monde est un peu plus étroit, sans lui. Un de ces quatre matins, il n’en restera plus un seul, plus une seule, pour nous dire, nous prémunir, nous protéger, nous faire partager leur incroyable foi en la beauté du monde...
Il était un étranger. Il était des nôtres.
Nous n’oublierons pas Jorge Semprun. Il va nous manquer.
Hasta siempre.
iA !