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Jour J moins 8 !
La première fois que j'ai vu cette photo de Marina Ginestà, prise à Barcelone en 1936 aux premiers jours de la guerre d'Espagne, alors qu'elle a dix neuf ans, j'ai été fascinée. Toute la fraîcheur, l'insolence, la grâce de la jeunesse dans ce visage qui regarde l'objectif crânement, avec un demi sourire où flotte encore tout l'optimisme et l'espoir de sa génération. C'est son fils, Manuel, qui me l'a envoyée après avoir lu un de mes livres, créant chez moi un choc émotionnel d'importance. Je m'apercevrai plus tard que je ne suis pas la seule. Que cette photo, à l'instar du célèbre portrait du Che Guevara, est partout dès qu'on évoque ce que ma mère appelait "notre guerre".
Je correspond avec Manuel depuis, et j'ai même rencontré Marina, avec mon père, un après midi d'octobre, à Paris. Deux vieux magnifiques, intacts dans leurs convictions, échangent des anecdotes venues du fin fond de leur mémoire... Je ne risque pas d'oublier ces quelques heures, maintenant qu'ils ont disparu tous les deux. Merci Manuel, pour la rencontre.
Pourquoi je vous raconte ça? Parce que Manuel a lu "Je mourrai une autre fois", en avant première, et qu'il a eu la gentillesse (ça ne m'étonne pas de lui) de m'avoir envoyé plusieurs pages de ses impressions de lecture. Il m'a autorisée à vous en envoyer des extraits. Je n'ai pas besoin de dire à quel point il est important pour moi que ceux qui partagent cette histoire méconnue qui est la nôtre, enfants et petits enfants de Républicains Espagnols, se reconnaissent dans mon roman. Merci Manuel, pour ces lignes:
"Voilà un livre formidable ! Je ne me rappelle pas avoir jamais lu un meilleur livre au sujet de la guerre civile espagnole, aussi riche, aussi précis, et aussi bien écrit.
J’ai l’impression que ce livre me restitue l’Espagne, celle de los Rojos, celle de mon enfance, qui est aussi la tienne, Isabelle. La nôtre, donc. Et cela tient à d’infimes détails par-ci par là, des retrouvailles le plus souvent, avec des expressions, des sons, des odeurs. ("J’ai fait des rosquillas ce matin" (page 13)) ! Voilà un mot qui m’était resté totalement enfoui ! Et que les chats en Espagne ne font pas seulement miaou, mais même miarramiau ! Tout au long de la lecture, des dizaines de petits miracles comme ça : l’Espagne revient, mon enfance revient ! (.../...)
Il y a pour moi, dans ton livre, encore bien davantage que dans les précédents (Maman, et L’exil est mon pays), une dimension thérapeutique de régénération de l’espagnolitude. Voilà pour le plaisir, très vif, éprouvé à la lecture.
Mais venons-en au contenu. Les tribulations, pour leur description, je t’ai fait confiance d’avance, je sais que tu écris bien. Descriptions savoureuses, comme je m’y attendais, surtout les dialogues, évidemment reconstruits ou re-imaginés. Mais j’appréhendais le moment où tu devrais nécessairement aborder les événements historiques qu’ils ont eu à vivre. Le moment où ma mère, elle, devient didactique dans ses deux romans…
Or, là j’ai été soufflé. Par exemple, mon grand-père catalan, el yayu, me l’avait racontée, l’histoire de Francisco Ferrer. Et plus tard ma mère également. Et encore plus tard, des profs hollandais de mon lycée Montessori, eux aussi ont tenu à me montrer qu’ils connaissaient son histoire. Mais ce n’est qu’en lisant le chapitre que tu lui consacres, avec la vigueur nécessaire, en exprimant les sentiments qu’il faut au sujet de cette incroyable injustice, que toute cette affaire est enfin devenue réellement vivante pour moi. Tu sais rendre vivant, et c’est un don extrêmement précieux.
Te voyant franchir efficacement et même je dirais, joyeusement l’obstacle du raccordement à l’histoire, j’ai été pris d’enthousiasme par la lecture de tout le reste de ton livre. Avec une curiosité immense, bien sûr. (.../...)
Et tout ça est très bien amené. Le moment fabuleux de la proclamation de la République est précédé, au plan familial, par la désopilante histoire du livreur de matelas.
Voilà la Révolution de 1934 dans les Asturies, moment formidable, comparé à juste titre, et c’est rare, à la commune de Paris.
C’est extraordinaire. Et les différents portraits de chacun de ces soldats sont, pour moi, très émouvants.
Jusqu’au bout ton livre continue à tenir ses promesses, ainsi, la Retirada, on croit connaître, mais voilà la scène totalement surréaliste de l’alignement de porcelets égorgés (p 260)
Isabelle, tu as réussi un livre qui pour moi restera un très grand livre ! Je me fous d’avance de ce que dira la critique littéraire.
C’est un très grand livre pour nous, les rojos, et je te suis extrêmement reconnaissant de l’avoir si bien réussi.
Manuel, 24 janvier 2016"
Que puis-je ajouter à ça? Juste ça: ¡Gracias, compañero!.
Dans une semaine tout juste, "Je mourrai une autre fois" sera dans les librairies....