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L'arabe à l'école?
La semaine dernière, ça a dégobillé sec dans les média. Du racisme à l'état pur. D'après quelques ténors de notre classe politique la plus rance, l'enseignement de la langue arabe à l'école, mentionné par le ministre de l'éducation, entrainerait l'islamisation de la France. Rien que ça. Une fois encore, une fois de plus, on met dans le même panier religion et culture, on assimile Islam et Maghreb, on fait mine de croire que tous les Arabes dont musulmans et tous les musulmans Arabes. Comme si tous les Français étaient catho. Argh. Et tous les cathos, Français. L'honnêteté intellectuelle à l'état pur, comme on voit...
Et si, tout au contraire, l'enseignement de l'arabe à l'école était la meilleure barrière contre l'intégrisme religieux?
Oui, l'arabe doit être enseigné dans un cadre laïque, avec des profs formés par l'Éducation Nationale, pour tous les élèves, d'origine maghrébine ou pas. Oui, les enfants doivent apprendre à valoriser, aimer la culture maghrébine dont certains sont issus et d'autres pas. La connaissance est le meilleur rempart contre le racisme. Quant aux petits Maghrébins, aux petits Africains que les hasards de l'Histoire, de la décolonisation et des errements de la fortune ont amenés à naitre et grandir en France, leur pays, il est essentiel qu'ils trouvent dans les programmes scolaires de quoi répondre à des questions essentielles sur la valorisation de leurs racines, la fierté de leurs origines, l'estime de soi. Que l'école apporte la fin de la honte.
On ne tient bien debout que quand on a des bases. Ces enfants ont deux pays, deux cultures, deux langues. S'ils apprennent à n'en connaître qu'une, ils risquent de boiter toute leur vie et d'accepter les fausses béquilles offertes par des bandits de grands chemins, générateurs de frustration, prêcheurs de haine et de violence.
Si les maghrébins des années 60 avaient été mieux accueillis en France, à l'époque de la décolonisation, s'ils n'avaient pas eu à affronter un mur de racisme mille fois décrit, mille fois déploré et si peu traité en profondeur, nous n'en serions pas, justement, à nous poser la question de l'indéniable influence salafiste en France et des multiples errements et dérives qui en résultent.
Qu'est ce qui me permet d'être aussi péremptoire sur le sujet? D'où parlé-je? Je parle de ma propre histoire. Je ne suis pas Maghrébine. Je suis issue d'un autre Sud... Mes parents, alors réfugiés politiques, seraient aujourd'hui des "migrants" vu que mon père passa la frontière sans papiers et ma mère avec un passeport falsifié. Dans la France où j'ai grandi, le regard sur l'Espagne n'avait rien de valorisant. Pays merdique, réserve de concierges, de bonnes à tout faire, de jardiniers, bref, de domestiques. La fillette que j'étais, née en France, percevait cinq sur cinq la solidité imbécile du mépris ambiant. Je savais que mes parents étaient des combattants de la liberté, mais j'étais seule à le savoir. Et si j'étais fière d'être leur fille, c'était à la maison, dans le cocon hispanophone et hispanophile qu'ils avaient obstinément tissé autour de leur progéniture. Franco et sa dictature maintenaient alors l'Espagne dans un archaïsme inassumable. Je me souviens avoir rêvé d'être moins brune et, comme dans la chanson Le Rital de Barzotti, de m'appeler Dupont. Et je me serais coupée en morceaux plutôt que de le reconnaître.
J'ai la chance et le privilège d'être bilingue d'origine. J'ai deux langues, deux pays, deux cultures. Et ça me fait un point commun avec des millions de Français d'origine étrangère. Pour certains, la dualité est plus riche: ils ont deux pays, certes, mais, cerise sur le passeport, sur deux continents. Même pas le même alphabet! Trésor supplémentaire. Nous savons, nous, que c'est un plus, et pas un moins. Et que si c'est souvent difficile à vivre, ce n'est que par l'effet de l'ignorance et du mépris. De la xénophobie et du racisme.
Le bilinguisme, universellement considéré comme un avantage culturel, devient suspect si la deuxième langue est l'arabe. Je lis un article de
Nadia Daam dont je pourrais reprendre l'essentiel à mon compte. M'est familier le sentiment de malaise, proche de la honte, qu'on éprouve, enfant, quand on a des parents à accent. La honte est immédiatement suivie de la honte d'avoir eu honte. Me souvenir de ce que j'éprouvais alors me serre encore les entrailles.
Dans beaucoup d'autres familles espagnoles, comme Nadia raconte l'avoir fait, on renonçait à sa langue. Les parents se lançaient dans le "fragnol" que mentionne Lydie Salvayre dans "Pas pleurer" et les enfants s'habituaient à leur répondre en français. La victime collatérale de l'intégration était la langue d'origine, qui se délitait peu à peu et finissait par se dissoudre et disparaitre.
Mes parents choisirent une autre option: interdire de parler français à la maison. Passer la porte, c'était repasser la frontière. Contraints et forcés, car aucun enfant n'aime se singulariser, nous pratiquâmes la langue de notre famille au quotidien. Et mes parents reconstruisaient avec patience et entêtement une image positive de l'Espagne, la nôtre, la vraie, la Républicaine, l'héroïque, la
conquistadora. Et c'est notre estime de nous mêmes qu'ils édifièrent obstinément. Nous n'étions pas ceux que les gens voyaient en nous. Nous n'avions à rougir de rien. Merci maman, merci papa. Ce n'était pas facile quand même.
Un jour, Franco est mort. Un jour, il y a eu la Movida, Almodovar, et au fil des années l'Espagne a repris des couleurs. Il y a eu Nadal, la Roja championne du monde. Il y a eu sur mes plaies d'enfance un flot de mercurochrome. Ce n'est pas qu'on guérisse, car la condescendance pour le Sud n'est jamais loin, mais on finit par s'en foutre.
Mais si je n'avais pas parlé espagnol, si je n'avais pas lu des romans, vu des films en VO, si l'Espagne était restée l'obscure succursale du Moyen Âge, confite de religion, pourrie de corruption, gangrenée de répression policière qu'elle fut pendant des décennies, comment aurais-je échappé à la haine de soi qui mine la vie des minorités méprisées? Où aurais-je pioché des raisons de me sentir fière? Qu'aurais je eu à apporter au monde?
Pour les maghrébins français, nul évènement n'est venu panser les plaies, aujourd'hui à vif. Les petit-e-s aimeraient s'appeler Dupont, avoir les cheveux raides, habiter un autre quartier et qu'on arrête de les regarder comme des terroristes en puissance. Les Blacks-Blancs-Beurs de 1998 n'étaient qu'un artifice, une illusion, une bulle. Un salafisme rampant, discret (de moins en moins), financé par une autre succursale du Moyen Âge, hélas en pleine forme, est venu offrir une fausse réponse à une vraie question. Les mosquées se remplissent, le voile s'affiche, les boutiques hallal ouvrent un peu partout, comme si la religion avait jamais été une solution à quoi que ce soit. Les salafistes poursuivent leur propre but et ne se soucient que de la soumission des fidèles. Ils prêchent la haine, la violence. Ils sont assez opportunistes, malins et pervers pour emplir un espace laissé en friche par la République.
Et la classe politique, les uns par racisme, les autres par aveuglement, obsédée par les échéances électorales, figée comme un lapin dans la lumière des phares, décline à l'infini une irresponsable impuissance.
Enseigner l'arabe, le parler, le lire, le chanter, le danser, est une première antidote à la haine et l'ignorance.
Avoir deux pays, deux cultures, deux passeports et être un-e irréprochable citoyen-ne de la République Française est parfaitement compatible.
Connaître l'Histoire et valoriser ses origines écrit un laisser passer vers une citoyenneté française pleine et entière, républicaine et laïque. Bien plantée sur ses deux jambes. La tête dans les étoiles. Prête, de nouveau, à éclairer le monde.
Excellente façon de prendre de l'avance dans le seul parcours qui compte: celui qui mène à la citoyenneté du Monde. Un jour, n'être qu'un-e Terrien-ne, égal-e à tou-te-s les autres. Ni plus, ni moins. Enfin.
Et écouter, encore et encore, Rachid Taha dans
Douce France...