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Le roi est nu.
Je vous le dis tout net, j'adore la chanson française. Pas seulement, je suis assez éclectique dans mes gouts, mais j'ai plus qu'un faible pour la bonne vieille chanson de chez nous, d'aujourd'hui et de toujours. La variétoche, disent d'aucuns, en y mettant de la hauteur. Va pour variétoche, ça ne me dérange en rien. Pour moi, ça veut dire populaire et le populaire me convient. Ça ne veut pas dire que j'aime tout, en vrac, loin de là, la chose est variée
comme son nom l'indique. La chanson française est un art à part entière, qui porte toute la noblesse du monde et accompagne au plus près, au plus intime, nos vies entières. Trois petites notes de musique, nous le savons, peuvent déclencher un raz de marée émotionnel, et qu'est ce que l'art sinon l'émotion partagée et le marquage du temps. De La Bohême à Gottingen, de Comme toi à Mistral Gagnant, de Alors on danse à Balance ton Quoi, de la Salsa du Démon la Java des Bombes Atomiques, en passant par Mirza et Zorro, jusqu'à, quand le moment l'exige (une fête avec des enfants, ça arrive!), la Danse des Canards ou le Poussin Piou, on va se gêner! J'en passe et des centaines...
Depuis avant hier le flot des hommages à Christophe inonde non-stop les programmes, à la télé comme à la radio. Un mort de plus, que sa célébrité singularise. Chaque jour, chacune de ces journées où on s'ennuie, où on regrette de louper le printemps, où on en a marre, envie de partir, de se mettre la peau au soleil, chaque jour donc, plusieurs centaines de personnes meurent, ici, et en Espagne, en Italie, en Grande Bretagne. Partout. C'est vertigineux, c'est atroce. Est ce qu'on s'habitue? Ou est ce que ça reste tellement abstrait, tant qu'on ne connait pas personnellement une victime, qu'on s'en rend à peine compte? Jusqu'à ce qu'un mort célèbre suspende le temps, et qu'on prenne conscience que comparé à cette tragique hémorragie, le confinement fait figure de toute petite souffrance. Et qu'on a toujours le recours, pour cautériser l'angoisse ou la danser, d'écouter les chansons qu'on préfère, et qu'on aime se répéter comme les enfants aiment qu'on leur raconte le même conte encore et encore.
Après le délai de silence dû au respect à ceux qui nous quittent, je me sens d'exprimer quelque réserve sur cet hommage que je trouve disproportionné. Je n'ai jamais été fan de ce chanteur. Je l'ai perçu comme un imposteur, poseur et maussade. L'homme qu'on n'a jamais vu sourire. Qui se souvient que dans les années 60 il abandonna Michèle Torr avec qui il venait de faire un enfant, qu'il ne reconnut jamais? A l'époque, faire un enfant hors mariage signifiait pour une femme une sorte de mort sociale. Un homme, lui, pouvait s'en laver les mains. Je salue Michèle Torr pour son courage silencieux, un vrai courage de femme, et aussi son fils, à qui son géniteur infligea une blessure inguérissable. Et je salue au passage le compagnon de Michèle, pour avoir été le vrai père de ce fils qui n'était pas le sien.
Été 1965. Christophe braille avec application qu'il avait dessiné sur le sable un doux visage qui lui souriait. Et il crie. Beaucoup. Aline ne revient pas. Mais elle classe immédiatement Christophe dans la case "chanteur à minettes", c'est à dire qui plait aux très jeunes femmes en jouant sur la thématique amour toujours, passion, chagrin, bisou, refrains faciles et sautillants, ouap dou ouap, tout ça. La catégorie est à la fois enviée (les fans achètent beaucoup et couchent facile, double bingo) et méprisée, à cause du statut même des jeunes admiratrices. Le public féminin, des romans roses aux soap operas, est regardé de très haut par les arbitres du goût, juges intraitables de ce qui se fait et ce qui ne saurait se faire, Rois Soleil de la tendance. Pourtant, a vu des chanteurs de variété passer de la famille chanteur popu (mépris navré) à celle de chanteur branché (classe, on adore trop...).
Johnny, par exemple, passa de yéyé (ringard) à icône de la branchitude. Un bisou de Baye, un regard de Godard, et le tour était joué. Ce qui était vulgaire devint génial. C'est comme ça et quand c'est Johnny, on se dit que ce n'est que justice, car il passa de l'un à l'autre sans renoncer à rien de ce qu'il était avant. Sincère et consistant, qu'on y soit sensible ou pas. On pense aussi à Vanessa Paradis, passée de starlette
du hit parade (berk) à déesse cultissime des élites subjuguées. Elle aussi, ne renie rien, assume tout et on l'aime aussi pour ça.
Ça arriva à Christophe, qui se retrouva un beau jour adoubé par les trieurs de bon grain et d'ivraie, ceux qui écrivent dans Libé, Les Inrocks, Télérama, etc, et qui octroient le label selon des critères qui leur sont propres. A partir de là, le bénéficiaire peut se permettre à peu près n'importe quoi, il sera salué, loué, estampillé artiste-absolu-authentique-admirable-abouti. Façon andouillette. Tant mieux pour lui, on va pas mégoter. Mais.
Mais passer de variétoche à branchitude, ça lui avait déteint dessus. Il y a cru. Il s'y est cru. On l'a donc vu et revu, ces jours ci, parler de lui même, créer lui même sa légende à coups de lunettes bleues et d'insomnies démonstratives avec coup de fil à quatre heures du mat pour bien qu'on s'ébaudisse de sa folie créatrice en action, que ça se sache... Génial en effet. Pfff... L'interprète d'Aline et des Mots Bleus ne se voulait pas chanteur. Non. Il ne chantait pas. Il "jetait des sons avec sa voix". Il n'était pas chanteur. Non. Il était "explorateur sonore". Et ainsi de suite. Trissotin pas mort. Il se la jouait que c'est rien de le dire. Avec une façon de dire: "vous savez moi je suis cash" avant de sortir une banalité d'une pureté dans l'insignifiance confinant à la missfrancitude. Le mec a juste rien à dire, mais il le dit quand même. Et même il le joue avec des airs évaporés. D'ailleurs, que celui qui trouve une photo où il sourit me l'envoie, il a gagné un dessin sur le sable. Sur toutes, il fait la gueule pour faire croire qu'il réfléchit et qu'il va pondre une génialité.
Je n'ai jamais compris ce qui justifiait son statut. Une oeuvre toute petite, quelques chansonnettes parfaitement insignifiantes, je n'ai rien contre mais y a t-il de quoi renier un statut de chanteur qui n'a rien d'infamant? Le tout au bénéfice d'une prétention à créer dans des sphères inaccessibles au commun des mortels? Se prendre au sérieux à ce point n'est pas précisément la marque des grands. Les grands restent simples et nous enchantent depuis des décennies de chansons magnifiques, renouvelées, petits joyaux de finesse et d'apparente facilité, sans se sentir obligés de marquer une distance avec les collègues.
Je me souviens d'une interview de Françoise Hardy, seule ex-yéyé respectée par la branchitude autoproclamée, que le journaliste cherchait à flatter en la dissociant de ses copines chanteuses populaires. Elle avait protesté et affirmé sa solidarité, sa camaraderie, son amitié, son respect vis-à-vis de Sheila, Vartan, Gall et autres squatteuses habituelles des hit parades. La vraie classe, d'une vraie grande.
D'autres sont morts dont je n'étais pas fan, ça ne m'a pas empêché de comprendre les hommages qu'on leur rendait. Les chanteurs ne meurent jamais vraiment. Ils restent présents, direct dans les écouteurs, émotion intacte. A t-on les fans qu'on mérite? C'est une question qu'on peut se poser devant les hommages posthumes en mode superlatif qui ont déferlé sur les ondes. J'avoue avoir pouffé en entendant un de ses inconditionnels asséner : "Aline? Mais c'est du blues!" Oui, hein, ça ne saurait être de la guimauve simplette... Et on a croulé sous les émissions, les cartes blanches, les Taratata, Tirititi, Torototo, et j'en passe. Je sais que remplir les grilles de programmes quand plus rien ne se tourne pousse à profiter des occasions, mais on a frisé l'overdose. Des chanteurs disparus récemment, y en a plein. Donnez nous du Marie Laforêt, du Nilda Fernandez, du Charles Aznavour, du Alain Barrière, du France Gall. Sans modération. Et même du Dick Rivers, tiens, je suis prête à tout!
Je me sentais un peu seule dans ma saturation quand un message sur Twitter initialement publié sur Facebook, m'a mis du baume au coeur. L'auteur est Benjamin Sire, et il a l'air de s'y connaitre... Je souscris, j'approuve, je souris. Son texte, le voici:
"
Bon, ce n'est pas pour polémiquer, ni emmerder les copains copines. Christophe était sans doute un homme adorable, dont quelques mélodies, en dépit de leur aspect incroyablement fleur bleue et d'une voix de chat qu'on égorge qui m'a toujours vrillé les tympans, ont frôlé le génie. Mais quand même...Outre de rappeler qu'après sa première période de succès, il a longtemps été considéré comme le plus ringard des chanteurs français, par ceux-là même qui, par la grâce du grand Bashung, l'ont exhumé pour en faire le sommet de la hype, il a thésaurisé toute sa vie sur très peu, quand d'autres ont des dizaines et dizaines de chefs-d’œuvre à leur actif. Encore une fois, depuis des années, tous les témoignages concordent pour en faire un type formidable, mais cette unanimité à chaque décès ne laisse de me surprendre (et de m'agacer un peu). Je doute que la plupart des gens qui pleurent aujourd'hui aient réellement écouté ses chansons ces derniers temps (encore une fois 3 ou 4 perles, pas davantage). Et j'ai l'impression ce matin que tous étaient ses confidents de la dernière heure. Mais au moins la gentillesse est récompensée. Sur cet échelle, alors, Alain Chamfort, aura je l'espère un monument à sa gloire quand il partira. Non, qu'il soit génial, mais parce qu'il est sans doute le plus gentil de ceux qui ont fréquenté les allées du succès dans cette génération. Mais moi, comme un con, et c'est le motif de ma mauvaise humeur, je pense chaque jour à William Sheller, qui n'est pas en forme et qui a eu son importance dans mon histoire. J'imagine ce jour où, toutes celles et ceux qui n'ont pas prêté la moindre oreille à son œuvre depuis des années, viendront préempter sa vie et sa carrière au prétexte du devoir d'unanimité lacrymale et de l'obligation de s'inscrire dans une mémoire collective fantasmée. Et d'imaginer ma peine alors, noyée dans l'océan des statuts les plus convenus. (.../...) Pardon, j'essaye d'être gentil la plupart du temps. Quelle mouche me pique aujourd'hui ?" @BenjaminSire .
Une mouche partagée! Merci l'ami. Et merci aussi de mentionner Chamfort et Sheller. Chamfort, comme un géant. Sheller, un homme qui nous rend heureux. Des vrais grands.
Heureusement, sur Fr3, le soir, il y avait Brassens et sa merveilleuse sobriété. J'imagine, chacun devant son écran solitaire, mes frères et soeur, retenant la même émotion, aux mêmes moments...
Juste après sur Arte, Joan Baez. Rendez vous avec mon enfance, mon adolescence, ma vie entière...
Salut les artistes.
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Barbara - Le 20/04/2020 à 09:18
Merci Isabelle. Une raison de plus pour prendre du recul. Quand même, j'ai eu ma larme le 16 avril dernier, j'avoue. Et toute la journée, j'ai enchaîné les mots bleus sur mon ordinateur. Nostalgie... nostalgie imbécile sans doute. Sénorita, dépêche toi, Christophe ce soir à Tatatata ! Et là, stupeur. Agacement. Toutes les Aline n'avaient pas pris une ride ! Des filles talentueuses certes et toutes super belles et super jeunes. Un seul de la génération de Christophe : Eddy Mitchell. Finis les mots bleus. Je ne suis plus concernée.
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Isabelle Alonso - Le 20/04/2020 à 09:27
La relève est assurée, donc! Mais pourquoi ne plus se sentir concernée? Nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes choses et j'avoue que Christophe, je n'ai jamais compris, ses chansons ne m'ont jamais émue. Ça n'a rien de gênant, il n'est pas le seul. En revanche, il m'a toujours semblé survalorisé. Aucune importance mais il y a eu clairement surdose d'hommages...
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