extrait de "Et encore, je m’retiens !" (Robert Laffont, 1995)
« Madame ou mademoiselle ? Je sais pas l’effet que ça vous fait, mais qu’on me pose encore cette question par les temps qui courent me donne envie de mordre. Vous croyiez que le genre humain était divisé en deux genres, mâle et femelle ? Vous aviez raison. Vous en déduisiez que la société civile s’en trouvait répartie en hommes et femmes ? Vous aviez tort. La citoyenneté française se divise en trois genres : les hommes, les femmes célibataires et les femmes mariées. Ça fait trois appellations pour deux sexes : monsieur, madame et mademoiselle...
Monsieur, c’est un homme de la puberté à la mort, quels que soient les aléas de sa vie sentimentale, qui ne regarde que lui. Comme d’habitude, pour les hommes les choses sont simples. Le système fonctionne en fonction d’eux. L’homme est normal, que voulez-vous. Il se définit par rapport à lui-même. Si vous êtes une femme, ça se complique. Les femmes, on les définit par rapport aux hommes. « Mademoiselle » veut dire que vous êtes célibataire, et suggère que vous n’avez pas de vie sexuelle ou que vous êtes disponible. « Madame » veut dire que vous avez convolé, et que, donc, un homme a le droit de vous jouer du mirliton en toute légalité. Et que théoriquement lui seul en a le droit. Une femme annonce donc dès qu’elle se présente son degré de disponibilité sexuelle. Parce que figurez-vous que quand vous êtes une femme, ce que vous faites avec votre cul, ça regarde tout le monde ! Si vous êtes mariée, faut que ça se sache ! Et si vous ne l’êtes pas aussi ! Pratique, non ?
Vous connaissez toutes le sirupeux : « Madame ou mademoiselle ? » avec clin d’œil baveux en prime du dragueur de base qui cherche moyennement discretos à se renseigner sur ses chances de concrétiser ou sur sa légitimité à vouloir le faire. Déjà, c’est pas juste à la base d’être un poteau indicateur sur pattes. En plus, ça complique la vie ! Les ordinateurs prévoient trois cases pour les fichiers. Un pour les hommes et deux pour les femmes. Vachement simple ! Au prix d’une manipulation informatique, ça finit par coûter cher de respecter des traditions imbéciles ! Pourquoi pas une appellation qui préviendrait tout de suite si vous êtes pédé ou si vous avez un net penchant pour la levrette ? En voilà une technique qui ferait gagner du temps !
En attendant, moi je me demande où est l’égalité dans tout ça. S’il est normal et important de faire savoir dès qu’on se présente si on est passé ou pas devant le maire, alors ça doit être pareil pour tout le monde. (…/…). Ou alors on estime que faire état de sa situation matrimoniale au premier mot est hors de propos, et on supprime définitivement mademoiselle de l’usage courant, des fichiers et des questionnaires. Et qu’on ne vienne pas me dire que j’encule les mouches, parce que si vraiment ça n’a aucune importance y a qu’à le faire tout de suite et on en parle plus !
Mais en fait ça en a, de l’importance. Le nom qu’on vous donne c’est ce que vous êtes. Avant vingt-cinq ans, le terme « mademoiselle » aggrave tous les paternalismes, toutes les condescendances qu’on se permet déjà trop avec les jeunes. Mademoiselle, c’est gnangnan et compagnie. Et dès vingt-cinq ans, on se met à friser le ridicule avec cette étiquette ! À se sentir à l’étroit dans la supposée virginité qu’elle confère même à qui concubinerait avec une demi-douzaine de bad guys ! Et insisterai-je sur la pesante alternative qui accable la « Mademoiselle » passé la quarantaine, et qu’on soupçonne soit de traîner un antique pucelage plein de toiles d’araignée, soit de planquer sous l’appellation la plus mièvre de la langue française un solide appétit pour les charmes masculins, en clair, d’être une vraie salope ! Quelle croix !
Et c’est sans arrêt qu’on vous pose la question ! En décodé, ça donne à peu près : « Alors, z’avez réussi à en coincer un, ou je peux me lancer ? »
Que répondre ?
Curieuse : En quoi est-ce que ça vous regarde ?
Grossière : Et qu’essa peute foute ?
Conciliante : Comme vous voulez.
Ignorante : C’est quoi la différence ?
Rusée : Ça dépend, faut voir...
Inquisitrice : Et vous ? Monsieur ou Mondamoiseau ? »
iA ! (extrait de "Et encore, je m’retiens !", Robert Laffont, 1995)
Espace commentaire
Elisa - Le 31/08/2012 à 20:15
Lorsque j'étais plus jeune et que j'avais droit au sempiternelle madame ou mademoiselle, je me suis régulièrement amusée à demander, s'il s'agissait d'un monsieur "monsieur ou mondamoiseau". Parfois lorsque j'étais plus agacée je demandais à mon interlocuteur ( ou trice) si il ou elle étaient marié (e). Maintenant que je n'ai plus ce pb, je n'appelle, par prinicpe, les jeunes ( et les autres) femmes que madame.
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Stéphanie - Le 01/05/2012 à 17:01
J'ai vécu cette question à plusieurs reprises depuis quelques mois. Ce qui est génial, c'est de voir la tête des gens quand on leur dit maintenant que cette question est illégale. Y'a ceux qui jouent les étonnés "Bon, ben, on va mettre Madame, alors" et ceux qui veulent à tout prix que les choses continuent à rentrer dans des cases "Et votre nom de jeune fille? Y'a pas? Ben on va quand même mettre Mademoiselle, sinon la machine ne va pas comprendre". Y'a aussi les durs de la feuille niveau progrès (je suis prof) qui m'appellent quand même Mademoiselle, même si j'ai rempli tous mes dossiers en cochant la case "Madame" et que mes élèves m'appellent Madame... Sur le papier, c'est simple comme une petite croix sur un formulaire, dans les têtes, la case "Mademoiselle" a encore de beaux jours devant elle...
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