Fait divers. Sans nuance, sans degré. Isolé de celui qui le précède et de celui qui le suit. Morts violentes imputables à pas de chance, à la fatalité, au destin tragique de certaines d’entre nous. On ne peut qu’être aveuglé-e par la cécité ambiante. Par le déni.
Combien de temps cela prit-il, dans le Sud des États-Unis de la moitié du XXème siècle (oui, vous avez bien lu, 20ème siècle) pour prendre conscience que les lynchages de personnes de race noire par des personnes de race blanche, finissaient par constituer, un par un, un ensemble d’éléments cohérents dont la fonction était de maintenir les Noirs sous terreur ? La menace planait sur tous même si elle ne frappait que quelques uns. Billie Holiday, puis Nina Simone chantèrent "Strange fruit" pour pleurer les innombrables victimes du lynchage, bras armé d’un système de domination implacable.
Combien de temps faudra-t-il, après l’assassinat d’une personne de sexe féminin par une personne de sexe masculin, pour intégrer dans le champ de la réflexion qu’il se peut que nous ayons affaire à un mécanisme ? Combien de temps pour donner un nom au fil qui relie chaque pierre de ce sinistre collier ? Pour percevoir qu’il s’agit d’une version infiniment ancienne, souterraine, enfouie dans le grand silence de l’omerta patriarcale, d’un mécanisme de contrôle social sur les femmes ? La menace plane sur toutes même si elle ne frappe que quelques unes. De même que l’assassinat d’un Noir par un Blanc n’est pas forcément un crime raciste mais qu’il PEUT l’être et qu’on doit se poser la question, le meurtre d’une femme par un homme peut n’être en rien imputable à la haine machiste mais on peut, on DOIT se poser la question.
Samedi soir, sur Canal, chez Ardisson, un homme a exprimé cette nécessité absolue si on veut sortir de la barbarie. Cet homme, c’est Jean-Michel Bouvier, le père de Cassandre, assassinée cet été en Argentine avec son amie Houria. Il avait élevé sa fille en femme libre, et il a compris, lui, de la plus atroce des manières, que c’est aussi de sa liberté que sa fille a été punie. Jean-Michel Bouvier s’est posé cette question qu’on ne se pose pas : que signifie la mort de sa fille ? Il a perçu la volonté délibérée de nier l’humanité de celle dont on ne s’est pas contenté de prendre la vie, mais qu’on a torturée, anéantie. Pour lui faire payer ce qu’elle était, une femme. Jean-Michel Bouvier se bat désormais pour que le féminicide, c’est à dire l’action de "maltraiter, violer et tuer une femme" parce qu’elle est une femme, soit reconnu dans le droit pénal français. Il a écrit dans ce sens au Président de la République et au garde des Sceaux. Sans réponse à ce jour.
La force du déni est telle que le calvaire des victimes n’est jamais perçu dans son ensemble, malgré sa régularité, sa permanence, sa fréquence, son universalité. A nous de soutenir Jean-Michel Bouvier, à nous de prendre conscience. De compter nos mortes et nos blessées. De décider qu’il est temps de se battre. Pour Océane, Cassandre, Houria et toutes les autres. Pour celles qui ne sont pas encore mortes et qu’on peut encore sauver...
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Valérie - Le 29/05/2012 à 15:41
Je peux d'autant plus comprendre cette atroce douleur qu'elle m'arrive aujourd'hui mais dans un sens différent. Je suis une femme et j'ai été élevé par un père qui m'a appris les mêmes valeurs que Jean-Michel Bouvier à sa fille. Il était libre, pacifiste, humaniste et il a été atrocement assassiné au Brésil le 18 avril dernier ; pour l'instant aucun média, si ce n'est local, ne s'intéresse à nous.........nous souffrons et sommes seuls.........nous organisons une marche blanche à Paris le 16 juin, aidez-nous, allez-voir le site : www.pourfernand.fr...
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christine gamita - Le 05/04/2012 à 14:26
FEMINICIDES FAITS de MASSE http://susaufeminicides.blogspot.fr/p/feminicide-lexique.html
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