Oeufs jolis
C'est Pâques et la télé s'emplit de bondieuseries, confinées cette année, Urbi et Orbi. Je n'y connais rien et ça me va parfaitement, mais difficile d'ignorer ce rite tant on nous le tartine même quand on s'en fout. Et que Jésus monte, et qu'il descend, et qu'il trimballe sa croix, et qu'il meurt mais pas vraiment, et qu'il est martyrisé, torturé, et qu'on se complait dans toute une imagerie atroce de crucifixion, toute une simagrée qui parait-il signifie beaucoup pour beaucoup de gens, mais pour moi, ça n'a strictement aucun sens. Et même c'est malsain, mais chacun son truc....En fait, ce qu'on célèbre à Pâques, c'est le printemps, le renouveau, tout ça. Les rites païens qui ont précédé les monothéismes avaient sans doute leur version, oubliée, enfouie...
Comment fête-t-on Pâques, en d'autres termes le renouveau, dans une famille athée? Chez moi, on ne croyait pas en Dieu, on était même solidement anticléricaux, mais on ne voyait strictement aucun inconvénient à croire au Père Noël quand c'est la saison, puis aux cloches de Pâques qui viennent de Rome laisser tomber du ciel du chocolat pour les enfants. Nous n'avions pas de jardin, ma mère planquait des figurines et des oeufs un peu partout dans la maison, avec une nette préférence pour les rebords de fenêtre et les creux derrière les volets.Et pâques n'aurait pas été pâques sans le repas de pâques. Probablement mangeait-on de l'agneau, ou du poisson au four, mais le repas de Pâques n'aurait pas été digne de ce nom sans notre plat préféré, un vrai plat pour enfants, ludique et lourd, les "huevos bonitos". Les oeufs jolis. Je traduis par oeufs jolis, alors que peut être ça veut juste dire oeufs au thon, vu que thon se dit "bonito" en espagnol. Je préfère oeufs jolis.
Ils me fournissent l'occasion de me lancer dans une première sur ce blog: vous refiler la recette. Une fois n'est pas coutume, ça me surprend moi même, je m'en vais ajouter un élément au mainstream gargantuesque du délire culinaire, une véritable avalanche, qui se déverse sur les écrans, et qui à faute de se révéler follement visuelle et haletante, suralimente au moins les grilles des programmes... Les chefs en font des caisses, en rajoutent dans le chichiteux (les virgules de balsamique, difficile à dépasser dans le grotesque) ou dans le faussement simple. La palme revient à un chef que je vis expliquer une fois qu'il faisait les oeufs au plat en deux temps, d'abord cuire le blanc, puis le jaune et après on superpose. Au secours! La toque a remplacé la perruque de Louis XIV en termes de boursouflitude de l'ego...Ne cuisinant pas je ne me sens pas bien légitime pour autre chose que manger ce que cuisinent les autres, mais là on est dans le simple, le facile à exécuter pour peu qu'on ait un minimum d'habileté manuelle. Il n'est pas cher et idéal en période de confinement vu le temps de préparation, supérieur au temps d'ingurgitation....
Vous vous munissez, d'abord, d'un verre de blanc bien frais, pas pour la recette, juste pour se tenir compagnie pendant l'exécution, puis des ingrédients suivants: six oeufs, une grosse boite de tomates au naturel, une boite moyenne de thon au naturel, une poignée de pignons. De quoi faire une mayonnaise maison (un oeuf, du vinaigre, de l'huile) ou un pot acheté dans le commerce pour les paranos de la salmonelle. Facultative, une gousse d'ail.Voilà. Faire bouillir six oeufs, bien durs, douze minutes, qu'il ne reste rien de mou ou humide. Les plonger ensuite dans l'eau glacée pour faciliter l'épluchage.
Faire revenir à la poêle, dans un fond d'huile d'olive, les tomates salées poivrées, y écraser l'ail si on aime, et les laisser mijoter en mode ploc, ploc, petits cratères, en les remuant de temps en temps jusqu'à une consistance épaisse, apte à former un monticule dans la cuiller. En fin de cuisson, mélanger soigneusement avec le thon, ajouter les pignons et mettre à refroidir le tout dans un bol de taille adéquate.Couper les oeufs en deux, axe longitudinal ou transversal peu importe. Mettre les jaunes à part, ils serviront tout à l'heure. Dans le creux laissé par le jaune dans les petits chapeaux en blanc d'oeuf, mettre une cuillerée du mélange tomate-thon-pignons, et le poser (attention cascade!) blanc en haut, mélange au contact avec le plat. Disposer les demi-oeufs de la manière qui sied le mieux à la forme du plat, en rond ou en carré, peu importe.
Recouvrir le tout de mayonnaise, avec générosité, c'est pas un jour à se rationner la calorie, non, Jésus a racheté nos péchés à l'avance, et nos bourrelets avec, non?
Se munir d'un petit presse purée mécanique ou d'un moulin à persil, ou d'une râpe à fromage côté petits trous, mais c'est moins bien, écraser délicatement les jaunes et faire pleuvoir sur la surface de mayo les petits serpentins qui en résultent.C'est prêt! C'est joli, hein? C'est pour ça que ça s'appelle "huevos bonitos" !
Mettre le plat au frigo, ça se mange bien frais.
Puis régalez vous...
C'est censé être une entrée, mais moi ça me fait le repas. Sur la photo ils sont moins jolis que les miens, mais c'est ce que j'ai trouvé de plus ressemblant. Quoi qu'il en soit, quand vous aurez fini, n'oubliez pas de vous gaver de chocolat! Quoi? Avec modération? Mais pâââs du tout! Donnez vous de la joie! Demain, c'est férié ! Merci Jésus!Joyeuse Pâques!
