< Retour aux articles
Oisillon bleu
Quelques jours de confinement et on prend déjà des habitudes. C'est dingue. Capacité humaine d'adaptation quasi immédiate à de nouvelles conditions, inimaginables il y a seulement dix jours... Confinement? On en a entendu parler il y a deux mois, ça concernait les Chinois, pas nous! On se sentait très loin de ce genre de truc! Les Chinois oui, ce sont des habitués du troupeau. Mais nous? Rétifs, réfractaires, révoltés, râleurs, rebelles, récalcitrants, rueurs dans les brancards et raseurs de Bastille, on nous confinerait? Ha! Ça me ferait bien mal, je te prie de croire! On est un peuple amoureux de la liberté, sa liberté surtout, grande gueule par vocation, donneur de leçon par atavisme. Imbu de lui même et flamboyant. Et on se retrouve assigné à canapé. Coucouche panier papatte en rond...
Ce matin notre deuxième semaine commence. Suffisait de demander gentiment, en nous agitant sous le nez un virus tout ce qu'il y a de méchant, un mortel, et nous voilà aussi bouclés que Shirley Temple à sa grande époque. De notre plein gré. On a aussi fait appel à notre sens élémentaire de la solidarité. Il s'agit de ne pas attraper, mais aussi et surtout, de ne pas transmettre. De se transformer en cul-de-sac, en impasse pour cet hôte malvenu. Il ne passera pas par moi, disait jadis un slogan anti sida. Le corona non plus ne passera pas par moi. Je confine avec détermination.
C'est que je me sens modérément à l'aise. Je tiens de ma mère, je l'ai déjà dit, de solides manies hygiénistes. Mais si je passe en revue mon agenda des semaines qui ont précédé, j'accable... Ça a l'air fait exprès, alors que c'est pure coïncidence. Moi qui bouge peu, écriture oblige, il se trouve qu'en cette fin d'hiver je n'ai pas arrêté. J'ai voyagé loin, j'ai voyagé près, avion, RER, métro, taxi, j'ai Académie-Alphonse-Allaisé, j'ai Instituto-Cervantisé, télé-enregistré, réunionné, picolé sur une terrasse bondée, j'ai même voté, bref j'ai fait la bise, enlacé, serré la main, multiplié les occasions de croiser le corona, le choper au vol ou le recueillir en douceur, et de le garder au chaud. Je confine confite. De culpabilité. Préventive. La culpabilité a ses spécialistes et j'en fais partie.
J'en suis à regarder la télé, et chaque fois que je vois des personnages se serrer la main ou se faire la bise, j'ai un mouvement de recul, je révulse: "Attention! Arrêtez! Faut pas!" Puis me reviens l'idée que le tournage date de mois ou d'années... C'est marrant, le pli est pris, l'interdit s'est installé. Et je n'en reviens pas vraiment....
Je ne sors plus. Je regarde désormais le soleil dehors comme on regarde une affiche de pub ou un panneau de signalisation: c'est de la déco, pas fait pour y aller... J'aère à fond mon home sweet home, porte fenêtres ouvertes en grand. Puisque je ne vais pas dehors, je laisse dehors entrer chez moi... Je sors sur mon balcon et fais des exercices respiratoires dans le vent frisquet de ce début de printemps.
Et je baguenaude sur
Twitter.
Manière de rester en contact, de me tenir au courant. Le monde virtuel, pas confiné pour un sou, continue de tourner, arborescent, distrayant, instructif, agressif. Intéressant de voir les diverses manières de s'exprimer. D'échanger. J'envoie des messages, je réagis à ceux des autres, je me marre ou je m'indigne... Et on me répond, bien sûr, c'est le jeu.
Sur Twitter comme partout, il y a des gens qui ont des arguments, voire, dans le meilleur des cas, de l'humour et de la finesse, et c'est un délice. Et il y a les autres. Pas d'argument digne de ce nom? Alors le recours est l'insulte. Délibérément, d'entrée de jeu... Je suis ainsi traitée d' imbécile, de pas intelligente. Je ne sais pas si je vais m'en remettre! Quant aux insultes plus consistantes, éventuellement ordurières, j'utilise direct la parade adéquate: je bloque le malotru. Ou la malotrute. Je n'aurai plus accès à cette personne et elle n'aura plus accès à moi. C'est une pratique que la vraie vie ne permet pas. Sauf que dans la vraie vie, les insultes pleine face, ça n'arrive jamais car il y faut une forme sinon de courage du moins de capacité à assumer à visage découvert. Pas le style des planqués du pseudo.
Quand j'ai épuisé les multiples recours de la procrastination, je me mets au travail....
Espace commentaire
María Gómez Ganzo - Le 23/03/2020 à 14:25
Vivement ton prochain bouquin, Isabelle!
Répondre
Isabelle Alonso - Le 23/03/2020 à 14:35
Il mijote, il mijote! Vive le confinement!
Répondre
Roujlimé - Le 23/03/2020 à 14:31
Les planqués du pseudo seraient-ils coalisés avec les amputés de l'empathie? J'use de vos formules, chère Isabelle, pour pointer un très probable cousinage. Allez patronne, remettez-nous ça
Répondre
Isabelle Alonso - Le 23/03/2020 à 14:34
C'est mon plaisir quotidien!
Répondre
Nicole Pradalier - Le 29/03/2020 à 22:42
Bonsoir Isabelle! Merci pour celui-ci aussi où vous avez laissé traîner une coquille ("me reviens"). Est-ce la mer que vous y entendez? Je ne suis pas twitteuse mais plutôt blogueuse. Quand on m'a demandé un jour de m'inscrire sur tweet, j'ai lu attentivement les conditions d'utilisation et me suis aperçue que l'on n'était absolument pas protégée contre l'utilisation de nos propres images. J'ai donc écarté l'invitation. Portez-vous bien!
Répondre