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Rip la bise...
J'entends à la radio que le déconfinement va probablement sonner la fin de la bise comme rite social. Ah bon. Il y a décidément des experts en tout, absolument tout. Tant qu'il y a des gens dans mon genre pour écouter, on ne voit pas trop pourquoi ça s'arrêterait, soyons magnanimes, je n'accuse personne. La fin de la bise, donc. Enfin une bonne nouvelle! Pas moi qui vais porter le deuil ! Je n'aime pas la bise. Voilà.
La bise est un rite. Mais. Mais c'est un rite à géométrie variable. Un rite, c'est fait pour fixer. Pour poser de l'immuable. Or qu'est ce que c'est que ce cérémonial qui change de forme en fonction du décor?
Bise à trois coups en Bretagne, à un seul en Belgique, deux à Paris, et en Bourgogne où j'ai grandi, quatre! Deux allers retours, carrément! Pourquoi, on ne sait pas, mais le moindre déplacement dans l'hexagone conduit à ces grotesques hésitations où on se retrouve à prendre de l'élan pour le bisou suivant alors que le récipiendaire est déjà reparti vers de nouvelles aventures, ou à se détourner, croyant avoir fini, alors que l'autre pose un baiser dans le vide là où était votre joue la seconde d'avant, et les mises au point qui suivent: pardon mais ici, c'est trois, ah, chez moi c'est deux, la seule qui vaille, tout ça... Je ne vous apprends rien. Pour un rite censé poser des repères c'est approximatif...
Ajoutons qu'on n'a pas forcément envie d'un contact aussi proche. S'ensuivent ces bises démotivées où les joues s'approchent mais les lèvres n'atteignent jamais la cible et se contentent d'émettre un petit smack en l'air. Parle-t-on assez de la simulation dans l'acte de bise?
Et il y a le contraire. La bise qui en rajoute. Souvent un mec qui tente de donner à la chose une nuance sexuelle, vous prend la main, vous tire sur le bras pour raccourcir la distance, appuie avec force son visage sur votre joue, à en aplatir la pommette, puis vous écrase une bise à laisser un bleu, un quintal de pression, qui vous démantibule une cervicale. Et s'étonne que vous échappiez à la deuxième par un recul général de tout le corps façon retraite de Russie...
Il y a aussi la bise humide, qui laisse des traces, un petit rond humide d'escargot se met à refroidir sur votre joue sans que vous osiez l'essuyer. Et la mondaine, le visage approche, mime l'aller retour à l'indifférente, alors que le regard est occupé ailleurs, parti à la recherche d'une autre piste à bise qui pourrait s'avérer plus rentable, plus stratégique...
Il y a la poignée de main, aussi. Et je n'aime pas non plus. Déplaisantes, toutes ces mains molles, ou amorphes, ou crispées, ou moites, ou sèches, ou froides, ou cherchant le rapport de force. Pour une seule poignée de main cordiale et sincère, ferme mais pas trop, combien d'échanges de bactéries sans plaisir? Beaucoup trop. Presque toutes...
S'incliner à la japonaise manque de chaleur, faut reconnaitre. Mieux que ce qui précède, mais bof.
Reste le seul salut que j'ai fini par trouver idéal, riche de variations, d'intensité, respectueux, sans contact épidermique compromettant. Universel, de l'amical à l'érotique en passant par le poli, le réjoui, le distant, le chaleureux. Il s'agit de l'accolade. Le hug. A l'américaine. Surprenant, n'est ce pas? Au début de mes séjours aux USA, j'étais très jeune, j'avais le côté précipité des vrais timides, et je me lançais dans une opération bise qui déroutait considérablement les autochtones. Je leur posai un baiser sur la joue qui les laissait interdits, sans réciproque. Ajoutons que ça ne faisait qu'ajouter un zeste de confirmation à la réputation de légèreté des
french girls. Par la suite, alors que j'avais définitivement adopté ce hug si parfait, dont on maîtrise le degré de rapprochement et de chaleur par mille possibilités, il m'est arrivé de retomber sur une ancienne connaissance se remémorant l'épisode et se lançant alors dans une bise à laquelle je ne m'attendais pas, et ça donnait une petite valse assez cocassement grotesque. Oui, je sais, j'ai vécu des trucs extrêmes...
D'ailleurs, je la qualifie d'américaine parce qu'elle est là-bas bien plus systématique que dans notre vieille Europe et que c'est là-bas que je m'y suis mise, mais comment passer sous silence notre hug à nous, le vrai, l'authentique, le fier
abrazo ibérique aux multiples versions, de l'accolade virile avec force tapes dans le dos, à l'
achuchon affectif, volontiers familial mais pas seulement, avec compression mutuelle de la cage thoracique, à se péter deux ou trois côtes en fonction du temps passé sans se voir, ou bien la saisie en délicatesse de la vieille tantine fragile en la soulevant presque, en passant par la simple embrassade cordiale, ou consolante en cas de chagrin, ou rigolante, quand on se tombe dans les bras de rire... Franchement, ça vous a une autre tronche que la bise, tout en évitant les léchouilleries faciales qu'outre Pyrénées on considère avec une certaine cisconspection.
Bref, pour conclure, les masques, ça m'arrange.... Je vous embrasse!
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Roujlimé - Le 13/05/2020 à 21:24
Ah je sens que ce billet va s'inscrire dans la prochaine polémique qui va diviser en deux camps les partisans du retour aux usages établis et les partisans du jamais plus comme avant. Puis-je suggérer, conformément à mon syndrome conciliateur, une combinaison des deux? Accolade/abrazo/hug assaisonné d'une bise sous un format qui reste à convenir, en fonction des affinités...
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Isabelle Alonso - Le 13/05/2020 à 22:01
Vaste programme! Je m'inscris!
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