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Simone et caetera...
Quand j'écris le nom de Simone Veil, ce n'est pas à la féministe que je pense. Pas en premier. Je pense d'abord à la porteuse de mémoire. Simone Veil appartenait à la génération de ma mère. Une génération qui à son plus jeune âge, fut confrontée à l'ignominie. Qui aurait pu sombrer dans la haine ou l'amertume. Et qui eut la force morale d'opposer à la barbarie son contraire: générosité, partage, loyauté aux valeurs les plus humanistes. Des circonstances atroces qui leur furent imposées, elles surent tirer une philosophie positive. Aimer, malgré tout.
Nos mères, nées dans les années 20 du XXème siècle, se sont battues et nous ont légué un monde tellement plus beau que celui qui leur était échu que mon coeur déborde chaque fois que je pense à elles. Rebelles, résistantes, combattantes, et si peu reconnues. Pour une Simone Veil à qui nous sommes libres d'exprimer notre gratitude et notre admiration, combien d'héroïnes ignorées auront vécu toute leur vie dans l'obscurité et le silence. Puis l'oubli. Simone Veil fait partie du meilleur de cette génération si magnifique à tant d'égards. Que leur mémoire, à toutes, soit ici saluée (sur la photo, résistantes corses déportées...)
Les femmes de la IIIème République finissante vivaient sous contrôle. Mineures à vie, dépendantes financièrement, assignées à résidence. Elles existaient à travers la vision que les hommes avaient d'elles. Simone Veil, comme toutes les autres, est née sans droits. Ni de voter, ni d'être élue, ni de choisir à quel moment elle ferait ses enfants, etc, etc... En revanche, nulle limitation, quand les temps devinrent mauvais, pour être arrêtées, déportées, torturées, assassinées... Simone Veil, comme les autres filles, comme les autres femmes, n'était plus deuxième de sexe quand on en venait aux exactions. Au premier rang la petite. Aux premières loges.
Vaillantes, attentives, Simone Veil et celles de sa génération ont imposé le respect des femmes que nous sommes et si nous en faisons autant qu'elles, peut être arriverons nous à offrir à nos petites une planète enfin respirable pour nous autres femelles de l'espèce humaine.
Sur des images datant d'une campagne électorale pour l'Europe, des sbires d'extrême droite l'agressent. Elle leur répond fermement, sans élever la voix: "Vous ne me faites pas peur". Elle avait vu pire, bien pire que ces pauvres lâches ordinaires que les temps de paix privent heureusement de donner leur mesure. Elle est de celles que rien ne fait plier. Et mon admiration se double d'affection et d'émotion.
La capacité des medias à écraser l'épaisseur de l'Histoire a fait de Simone Veil une sorte d'héroïne unique du droit d'avorter. Elle en a été, et avec brio, avec courage, la défenseuse de la phase ultime. Mais le combat pour en arriver là, avait été très long, pris des années. Un combat féministe, collectif, exemplaire, celui de dizaines de milliers de femmes et de quelques hommes, compagnons de route, durait depuis des années dans l'insondable impuissance politique des femmes de ce pays.
En 1974, quand Giscard est élu, les Françaises ont le droit de vote depuis trente ans seulement, et accès à la contraception depuis... sept ans! Six ans seulement après le formidable essor du féminisme que les évènements de mai 68 ont entrainé, le nouveau Président, qui se veut moderne, à l'écoute, ne peut ignorer la clameur de la rue. A cette époque, des femmes meurent d'avortements clandestins pratiqués dans des conditions innommables. Qui s'en souvient?
Les femmes manifestent, encore et encore et encore... Les manifs sont ludiques, marrantes, déterminées. Les slogans classiques, que tout le monde connait, "un enfant si je veux quand je veux" mais aussi insolents: "Debré si ta mère avait connu l'avortement" (allusion à Michel Debré, père de la constitution de 58, ministre, bouché à l'émeri quand on en vient aux droits des femmes, violemment opposé à la loi sur l'avortement) ou "Marie, toi qui a conçu sans pécher, aide nous à pécher sans concevoir"... On chante aussi, beaucoup.
En avril 1971, 343 femmes, dont certaines très célèbres, défient la loi en signant un manifeste déclarant qu'elles ont avorté. En octobre 1972, Gisèle Halimi, dans un procès retentissant, prend la défense d'une toute jeune avortée mineure, Marie-Claire Chevalier (enceinte après un viol et dénoncée par son violeur, elle se retrouve devant un tribunal, ah, les charmes du patriarcat triomphant...) Créé en 1973, le MLAC pratique ouvertement des avortements au nez et à la barbe des autorités. Qui s'en souvient?
La pression est telle que Giscard charge une femme de défendre le dossier plus qu'épineux devant l'Assemblée Nationale. Simone Veil est ministre de la Santé, pas de la Justice. Pour faire passer la Loi, Giscard, et il a sans doute raison, place le débat sous l'angle de la médecine. On ne parlera pas de justice. Tu m'étonnes.
Le gouvernement de l'époque, premier gouvernement Chirac, compte 36 membres. Dont 3 femmes (Une ministre, Simone Veil, à la Santé. Deux secrétaires d'État, à la condition pénitentiaire et à l'enseignement pré-scolaire). L'Assemblée Nationale compte 2,4% de députées. Ce qui signifie 97,6% d'hommes. Ça calme, hein? Le concept même de parité est inconcevable. Les féministes le penseront, se battront, et on les conteste encore alors qu'on arrive péniblement, en 2017, à 38,8%... Bel effort, mais la parité, c'est 50%, rappelons le. Ils s'accrochent, les mecs. Je ne peux pas m'empêcher de penser que si nous arrivons à l'Assemblée petit à petit, à pas de fourmi arthritique, c'est que le vrai pouvoir, mondialisé, financier, celui du gros pognon, est parti ailleurs, et reste entièrement sous contrôle masculin, mais je ne voudrais pas faire ma rabajoise...
Je regarde une fois encore, une fois de plus, les images de ce débat sur l'avortement que j'ai déjà vues tant de fois. Et ça ne me réjouit en rien. J'ai le coeur qui saigne. Ce que je vois à l'image est l'humiliation, à travers Simone Veil, de toutes les femmes de ce pays. Les élus qui siègent dans cette Assemblée bénéficient personnellement de l'injustice, de la spoliation, de l'excès de pouvoir de leur sexe sur le nôtre. Ils n'en ont pas plus conscience qu'une huitre n'a conscience de sa coquille. Ça fait partie de l'ordre du monde tel qu'ils l'ont toujours connu. Ils vont révéler leur morgue et leur bêtise avec une consternante ardeur.
Simone Veil prend la parole avec détermination, courage, dignité, devant cette ignominieuse assemblée où abondent les crétins satisfaits, arrogants, qui exercent le pouvoir exorbitant, obscène, de disposer de la vie d'autrui, la nôtre en l'occurrence. Ecoutez les ricaner, insulter, exhiber leur sinistre ignorance, exprimer la plus vile des irresponsabilités, celle de leurs semblables qui depuis toujours sèment leurs spermatozoïdes à tous vents et n'ont jamais eu à en assumer les suites. Qui posent leur nom sur les femmes et les enfants comme s'ils en étaient les propriétaires et se comportent en conséquence. Et les femmes, citoyennes de seconde zone, en sont à quémander un droit fondamental auprès de ceux dont la seule légitimité nait du détournement des idéaux supposés d'une république qui n'en finit pas de nous trahir. Une femme à la tribune parle en notre nom, mais seulement parce qu'un homme, Giscard, en a décidé ainsi. Elle est en service commandé. Ne chipotons pas. En agissant comme il agit, Giscard heurte de plein fouet son propre camp. Il fait de la politique, et au point où on en est, il a raison. La loi sera votée par la gauche. Ceux qui prétendent aujourd'hui que l'avortement est une conquête de la droite feraient bien de se renseigner. La droite vota massivement contre. Qui s'en souvient?
Le texte proposé est réduit à sa plus maigre expression: c'est une simple suspension pour 5 ans de la loi de 1920 (oui, on en était là, la même loi depuis le lendemain de la Grande Guerre, quand les hommes mirent un compteur sur le ventre des femmes, fallait repeupler de gré ou de force le pays qu'ils avaient dépeuplé sans que les femmes aient leur mot à dire, sympa aussi, cet aspect de la République, non? ...). Dame, on ménage les conservatismes et les partisans du contrôle des femmes. Mais ne boudons pas notre plaisir: le droit d'avorter a été conquis, grâce à Simone Iff, Gisèle Halimi, Simone Veil et des millions de femmes, connues et inconnues, dans une mobilisation exemplaire et magnifique. C'est notre combat, et c'est notre victoire. Je ne sais pas comment elle est transmise, enseignée à l'école. Il serait salutaire que chaque petite fille sache d'où viennent ses droits, qui se battit pour eux, et ce que chacune porte aujourd'hui du courage collectif des générations précédentes.
Les choses ont changé, certes certes... Mais quand l'Académie Française, dont Simone Veil faisait partie, annonce son décès, elle déplore la disparition... d'un "confrère". Pour les tricornés de la langue, le plus grand hommage qui se puisse rendre à une femme est d'en faire un homme... Vulgaire, pathétique, grotesque, dérisoire... On avance, mais piano, piano...
SimoneVeil, notre Simone. Grande féministe. Grand être humain. Au Panthéon? C'est le moins qu'on puisse faire. Avec son mari, parce que sans affect rien ne vaut la peine. Elle parla pour nous. Elle reposera pour nous dans l'antre de la patrie si peu reconnaissante envers ses filles. Merci à elle.
Hasta siempre, Simone.
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Martin SNOECK - Le 19/07/2017 à 23:37
Merci Isabelle pour votre pensée limpide et pour vos mots si justes. Si forts. N'oublier, jamais. Jamais. Jamais oublier ce que fut la vie de ces femmes. Ma mère, née en 1917, à avorté je ne sais combien de fois. Dans cette Flandre nazie pendant les guerres et catholique entre elles. Elle a voué sa vie à l'amour de son mari (pas mon père ) et embrassé tous ses combats, par amour pour lui . Communiste. Résistante. Membre du Groupe G, qui avec d'autres femmes faisait passer des femmes.Juives et leurs enfants en zone libre. Veuve avec une enfant. Elle a épousé après la guerre mon père. Le frère du premier obstétricien de Belgique, qui Doyen de la Faculté de médecine de l'université libre de Bruxelles, fut suspendu par le Conseil de l'Ordre des Médecins pour avoir pratiqué des avortement. Lui qui fut le chantre de l'abolition de la douleur pendant les accouchements, lui qui donna son nom à au moins trois services d'obstetrique à Bruxelles et qui a chaque ouverture de l'année Académique ne manquait pas de rappeler que lui avait eu l'honneur d'être suspendu. .. Quel culot ! C'est lui qui avec la collaboration du sénateur et avocat socialiste, Roger Lallemand, élabora au sein des Loges Maçonniques les projets de lois dépénalisant l'avortement en Belgique. Beaucoup de femmes anonymes. Quelques hommes. Pas beaucoup. Mes hommages au regretté Dr Jean Snoeck, mon oncle et au Dr Peers, son ami. Même emprisonné.
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