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Stone & Charden
Charden est mort. Ça m'a rappelé un coup de blues. Et aussi, vaguement, qu'il en était résulté un texte. J'ai tapé "stone et charden" dans "rechercher" et il a resurgi tel qu'il fut enregistré en 2004, quand je chroniquais à la télé et qu'on m'envoyait des CD à écouter pour l'émission.
Je vous le livre tel quel: "Aujourd’hui, corvée de supermarché. C’était le désert dans le frigo, le vide sur les étagères et, sous l’évier, le rien pour nettoyer.… Il fallait bien que j’affronte le réel… Avec ma liste, mon caddy et une tronche de six pieds de long, je suis descendue dans les sous sols surchauffés de la Samaritaine. Une version soft de l’enfer.
Mais il y a sur les éventaires de la routine des produits inattendus, cocasses, et gratuits. Ça peut se planquer n’importe où et ramener un sourire sur la plus accablée des réfractaires aux grandes surfaces. Un vendeur, accroupi au milieu d’une allée, essayait de calmer la pagaille du rayon javel-ammoniaque-naphtaline, le coin le plus glamour du secteur lessive. L’air ailleurs, tout en alignant bien comme il faut les flacons doseurs, les pschitts à chiottes, les becs de canard, tout ça, il superposait sa voix à celle de Jean -Jacques Goldman qui à ce moment là sonorisait les gondoles
: j’irais au bout de mes rê-ê-êveux, tout au bout de mes rê-ê-êveux, tilala, tilala… et schlack, il déplaçait un carton de cif…
tout au bout de mes rê-ê-êveux, et boum, il repoussait l’ajax-vitres …
où la raison s’achève, tout au bout de mes rê-ê-hê-hê-veux, et hop, pour faire de la place à l’harpic wc… Il était au fin fond du Colorado, à l’île de Pâques, va savoir…
Tu crois qu’il le sait, Goldman, qu’on se sert de lui pour nous pousser dans les retranchements de nos cartes de crédit, tel Claydermann ou Rieux ? A mon avis, il accepte parce qu’il sait qu’il fait évader les prisonniers de Monsieur Propre et de la Fée-du-logis….
Je suis rentrée guillerette, contente de ma chance. Dans la série les vies de merde auxquelles j’ai échappé, celle de termite de supérette venait de s’ajouter à une liste déjà longue issue d’une observation minutieuse du train-train de mes contemporains. En attendant la livraison, encore un luxe, j’ai introduit dans mon ordi la compil Stone-Charden qu’on nous a demandé d’écouter pour l’émission.
Une minute après j’étais en pleurs, effondrée sur mon clavier… Il faut que je pense à m’acheter un ordinateur imperméable, étanche, insensible aux brutales variations d’humeur de la versatile pianoteuse qui le pilote….
« Au dehors il y a du lilas, du chèvrefeuille sur la barrière, le seul bébé qui ne pleure pas, c’est celui qu’on est en train de faire… » Mystère des associations d’idées… Quand cette chanson était à la mode, j’étais pas cliente… Et là, d’un seul coup, je me suis retrouvée à Dijon au temps de la fac, du restau-U, de l’appart partagé avec mes frères et mon amoureux de l’époque, mon premier vrai compagnon, on va dire qu’il s’appelait Paul. Je chantais tout le temps, il fumait sans arrêt, il militait à la ligue, je dansais à toutes les boums, il était sérieux, je faisais le pitre, on s’aimait comme on s’aime quand on n’a encore rien vu mourir… J’adorais qu’il m’adore… Quand j’ai cessé de l’aimer il ne me l’a jamais pardonné, et je me suis sentie coupable. Il n’a plus voulu me revoir. Un bébé on n’en a jamais fait. L’idée ne m’avait même pas effleurée. J’étais un bébé moi même.
Aujourd’hui, bien sûr, le vent a effacé sur le sable nos pas d’amants désunis. Mais surtout, Paul gît en cendres au fond d’une urne scellée dans le cimetière verdoyant d’une métropole francophone où il avait fait sa vie de docteur en physique et de mari content. Anéanti à quarante ans par un cancer du poumon, il a laissé deux tout petits garçons qui grandiront sans lui. Le seul bébé qui ne pleure pas, c’est celui qu’on n’a jamais fait. Et celle qui pleure, c’est moi. Je pense à lui. Souvent. Et ça me casse en deux. S’il me voit, de là ou il est, peut être qu’il comprend le lien entre Stone-Charden et lui… Pas évident.
C’est peut être juste un petit clin d’hier, de la lumière de ces années là, quand l’horizon ne faisait pas partie du paysage… Il n’y a pas que les gens qui meurent. Il y a les jours qui disparaissent, et tout ce qui faisait leur couleur. Les draps où l’on dort, le mug où on boit son café, le dessin du papier peint qu’on regarde avant de s’endormir, les livres qu’on dévore, les voitures qui passent, les habits qu’on trouve seyants, les exams qu’on révise, les articles des journaux, les airs qu’on retient. Tous les éléments qui ont fait de notre vie ce qu’elle était à un moment donné et qui se sont évanouis un par un, dissous dans une masse si lente qu’on n’en perçoit pas le mouvement. C’est dans ce magma que flottent les chansons qui nous tiennent compagnie quelque temps, au gré de nos goûts ou du matraquage radiophonique. Rengaines ou mélodies, elles s’incrustent dans notre mémoire en même temps que les épisodes intimes et précieux qui nous construisent et nous nourrissent. Puis elles se taisent, à la faveur d’une nouvelle mode. Et quand par hasard elles ressurgissent, des années plus tard, elles ramènent entre leurs notes des lambeaux de ce qui fut et qui n’est plus et nous mettent en miettes. Grands Dieux, c’est pas le coup de la madeleine que je suis en train de faire ? Bon, je vais me pendre. Au sous-sol, autrement ça fait mal. Et avant, je m’offre une tournée de Stone-Charden".
Signoret avait raison. La nostalgie n'est plus ce qu'elle était.
iA!
Espace commentaire
Michel - Le 12/06/2012 à 16:18
Moi c'est la Mort(19 avril) de LevonHelm qui m'a marquée. Batteur du Band il accompagne ma vie depuis mon adolescence disons même ma jeunesse . On peut aimer Stone et Charden bien sûr mais connaître "The Band" ça vaut le coup! Aujourd'hui grâce à "Internet" on peut retrouver facilement leur morceaux "mythique ("The Weight", "The Night They drove old Dixie Down" etc.). Le "départ" de Levon après ceux de Rick Danko (1989) et Richard Manuel (1986), m'incite à souhaiter longue vie "aux survivants" de ce groupe exceptionnel : Garth Hudson et Robbie Robertson.
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