Il s’appelle Houellebecq. Il écrit des livres, avec ni plus ni moins de talent que tous ceux qui à chaque rentrée mettent leurs tripes à nu dans les rayons des librairies. Et ses livres font un carton. Les plumitifs qui font l’opinion l’ont estampillé génie littéraire ! Les prescripteurs de politiquement correct adôôôrent ! C’est un grrrantécrivain ! Le macho réseau fonctionne à plein régime. Le verdict est sans appel : quiconque ose ne pas apprécier Houellebecq n’est pas moderne et n’y connaît rien en littérature. On tremble !
Sauf que. La dernière cuvée a donné lieu à un lancement publicitaire adapté aux circonstances. Promo tous azimuts, télé, radio, magazines, Monsieur Houellebecq se répand jusqu’à l’indigestion. Ses déclarations sont complaisamment reproduites. Que vous ayez lu ou pas son livre, vous ne pouvez rien ignorer des adorations et détestations de notre nouveau leader d’opinion. Il ne s’agit pas ici de juger ce roman comme le ferait une critique littéraire, mais d’analyser le contenu d’une de ses omniprésentes déclarations, pour comprendre les sources d’une étrange vénération médiatique.
Interviewé par Philippe Vallet sur France Info, le lundi 27 aout 2001 (chronique de 05:49)Michel Houellebecq déclare :
" Je me suis rendu compte que le tourisme était devenu la première industrie mondiale. Dans le livre, en fait, c’est une sorte de "plateforme programmatique" pour rendre le tourisme sexuel vraiment efficace, moderne et rentable, alors que là c’est assez... artisanal. Mais il y a des oppositions, oui, il y a des gens qui sont très contre. Il y a un problème avec des minorités musulmanes, qui apprécient peu le tourisme sexuel...parce qu’en fait il y a des minorités musulmanes en Thaïlande, dans le Sud. "
Philippe Vallet : ce ne sont pas les seuls opposants, il y en a aussi dans le monde européen.
MH : " Oui, c’est vrai, mais c’est une des choses qui m’avait poussé à écrire ce livre : en observant le phénomène sur place, j’ai trouvé que cela ne ressemblait pas du tout à l’image glauque, sordide et d’esclavage qu’on en donnait. Je n’ai finalement pas du tout vu ce qu’il y avait de répréhensible, quoi ! Malgré une certaine bonne volonté... Enfin : j’aime bien m’indigner en général, mais là je ne voyais vraiment pas de raison... je n’en vois toujours pas. Alors... ça vous met dans un état bizarre quand on s’aperçoit que tout le monde décrit comme un enfer vous vous paraît... quelque chose de finalement... plutôt une bonne idée. "
PV : ce livre, comme vos précédents, ne participe pas de la "pensée unique"... ?
MH : " Eh oui, mais il faut bien être objectif de temps en temps, quoi ! Bon, tout le monde a envie, dans cette histoire, aussi bien les clients que les filles, en fait. C’est pas si mal comme profession. Je suis assez pour la prostitution en Occident aussi, ceci dit. Il y a eu une pétition pour l’abolition de la prostitution et j’en suis tombé par terre... tellement ça me paraissait, enfin je ne sais pas... J’avais l’impression que les gens étaient devenus dingues.... Que c’était une idée de dingues ".
PV : et parallèlement, Michel Houellebecq, le monde que vous décrivez est un monde extraordinairement violent, et là on n’a pas l’air de s’indigner vraiment ?
MH : " C’est très bizarre, on vit dans une société où parfois j’ai l’impression que les biens sont mieux protégés que les personnes. Bon, il y a une pensée unique, mais au fond, je ne la comprend pas. Je suis capable de repérer ses manifestations mais je ne comprends pas comment des idées aussi stupides peuvent germer : ça doit être une idée de l’homme qui m’est inaccessible, qui ne correspond à rien pour moi ".
Le discours de Michel Houellebecq est présenté le plus souvent comme novateur et subversif. Novateur, ça veut dire que personne n’a dit ça avant, ou pas comme ça. Subversif : au point que la société en tremble sur ses fondations !
Contexte : les mafias proxénètes lobbyisent le parlement européen à tour de bras pour imposer la légalisation de la prostitution, et donc du proxénétisme, et qu’on constate une augmentation sensible du nombre de prostituées à Strasbourg pendant les sessions parlementaires, l’idéologie consistant à définir la prostitution en tant que " travail comme les autres " et les prostituées en tant que " travailleuses du sexe " s’impose dans les pays de Nord de l’Europe. La France, qui était l’un des derniers bastions abolitionnistes, a adopté tous les textes européens et onusiens qui ont fait disparaître l’abolitionnisme comme source de droit positif. L’Etat français ne fait rien pour lutter contre la prostitution.
Le discours de Houellebecq sert obligeamment la soupe aux proxénètes, renforce l’ordre établi, avec l’approbation pleine et entière de ceux dont le rôle est d’influer sur l’opinion. Il s’agit d’institutionnaliser le système prostitutionnel, qui allie les intérêts des proxos, des clients et de l’Etat, au préjudice des femmes. Il s’agit de légitimer la prostitution. De rendre plus confortable l’activité de ceux qui l’organisent et en tirent des profits colossaux. De renforcer encore la loi du plus fort. A l’heure de la mondialisation des marchés et et de la marchandisation du monde, le corps des femmes reste ce que le patriarcat en a toujours fait : une marchandise, un produit comme les autres, parmi d’autres, à la disposition des profiteurs. Ceux qui consomment, ceux qui encaissent, ceux qui laissent faire. La légalisation de la prostitution est une régression pour les femmes et une victoire pour l’ordre établi.
Malheureusement aujourd’hui le principe en est d’ores et déjà acquis. Ça s’appelle un backlash. Un terrible backlash. Pour contraindre les prostituées, on a toujours utilisé la violence la plus barbare. Mais pour convaincre l’opinion et les parlements , on utilise le langage. Ça fait pas de bleus au corps mais ça laisse des traces dans les esprits. Le piège est là. Et c’est là que Houellebecq devient utile.
Les proxos et ceux qui parlent en leur nom disent : " liberté de disposer de son corps ". Ils ont volé cette expression, récurrente chez les féministes à l’époque où elles réclamaient le droit à l’avortement et à la contraception, pour justifier leur liberté à eux de disposer du corps d’autrui.
On nous parle de " liberté de vendre son corps ". On dit : on peut bien vendre son sexe comme on vend sa force de travail, comme on loue son temps au patron, c’est une question de liberté individuelle. Liberté de qui ? Liberté des plus riches et des plus forts de disposer du corps des moins riches et des plus faibles. Ce n’est pas de la liberté. C’est de l’abus de pouvoir.
On dit : " Il n’y a pas à juger. Tout est possible entre gens majeurs et vaccinés ". Toujours au nom de la liberté, bien entendu ! Majeurs et vaccinés ? Mais si pas majeurs, pas bon, vous suivez le raisonnement ? Écoutez le nouveau discours de la morale à la mode : la prostitution c’est génial, la pédophilie c’est atroce. Alors ça commence quand, le côté génial de la chose dans les bars de Thaïlande ? A 11 ans, quand la fille a ses premières règles ? A 13 ans, quand ses parents sont prêts à la vendre pour quelques bahts ? Quel âge avaient les filles dans le reportage tout sourire sur Pattaya, diffusé dans l’émission de Guillaume Durand ? Depuis quel âge souriaient elles au client ? Seize ans ? Bouh ! Dix huit ? Formidable ! " Majeurs et vaccinés " c’est le point de vue du "client" se cherchant une justification sans regarder plus loin que le bout de sa bite. Il n’y a aucune logique à se scandaliser de la pédophilie, et vanter la prostitution. Un être humain réduit à un objet sexuel contraint et forcé, sans défense, n’a pas d’âge.
Michel Houellebecq est un être simple et frais : il voit les petites prostituées asiatiques sourire, il en conclut qu’elles sont heureuses ! Il ne voit pas ce qu’il y a de " répréhensible " ! C’est Disneyland ! Alors il joue les haut-parleurs. Porte parole des mafias proxénètes en toute bonne conscience, il encaisse les droits d’auteur de la parole patriarcale. Gageons que le côté " répréhensible " de la prostitution lui apparaitrait comme une révélation s’il se retrouvait un jour, une heure seulement dans le rôle non pas du client (s’envoyer une jeune asiatique souriante, il voit pas ou est le problème !) mais de la prostituée. C’est à dire de livrer un de ses orifices (même les grands esprits en sont pourvus !) : bouche, anus, l’un ou l’autre, voire l’un et l’autre, à une pénétration sans désir, sans affect, et souvent sans hygiène, pour quelques dollars. De quoi ne pas crever de faim. Et une torgnole en cas de mauvaise volonté. Est ce que ça émousserait l’enthousiasme de Monsieur Houellebecq pour le " tourisme sexuel " ? Et tout ceux qui fantasment avec lui sur les plateaux de télé sur le thème : la prostitution, un métier comme les autres, envisagent ils la carrière pour leur fille, leur sœur ou leur épouse (pardon pour elles) ? Qui iraient sucer au Bois de Boulogne ou à Pattaya ? Et à quand des écoles, une vraie formation ? Des licences de location vaginale ? Un DESS fellation ? Un doctorat ès sodomie ?
Houellebecq a dit dans "Campus" : "Il n’y a pas de morale sexuelle", "Morale et sexualité n’ont rien à voir". Cette prise de position est une morale en elle-même, un système de valeurs qui prône la jouissance fondée sur la consommation et non le partage du plaisir, la sexualité comme un service rendu aux hommes, leur plaisir étant la seule règle.
Houellebecq parle. On l’écoute. Les femmes prostituées hurlent. Dans le désert. L’Etat peut continuer à s’en laver les mains. Les "clients" peuvent continuer à payer pour dominer. Les proxos peuvent continuer à contraindre, torturer, et encaisser.
On n’aménage pas plus la prostitution que l’on n’aménage l’esclavage. On ne compose pas plus avec la prostitution que l’on ne compose avec le crime.
iA, octobre 2001
Espace commentaire
Suzanne B. - Le 29/12/2015 à 21:29
Je crois que c'est un type cynique qui est à cet égard, bien de son temps. Ce n'est pas le macho classique, il n'a aucune estime pour les hommes non plus. C'est un post-moderniste nihiliste de la même trempe que Catherine Millet ou même Virginie Despentes que certaines féministes vénèrent allez savoir pourquoi.
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