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Troisième lundi...
"Si tu penses que cette minute est unique et ne reviendra jamais, tu la savoureras comme elle le mérite, tu ne t'ennuieras plus jamais ". (lu quelque part, il y a très longtemps, jamais oublié)
Les prisonniers, à ce qu'on dit, font une entaille dans le mur de leur cellule pour marquer chaque jour de détention et mesurent ainsi le temps qu'il leur reste à passer à l'ombre. Vous savez, le temps, ce mystère à géométrie variable qui s'allonge démesurément chez le dentiste et rend si fugitifs les moments de plaisir intense où on ne le voit pas passer. Le temps, c'est notre vie, qui n'est faite que de ça. Le temps, c'est ce que nous sommes contraints à échanger contre de l'argent pour pouvoir survivre. Le temps, c'est ce que nous gaspillons, hachons, perdons si volontiers comme si on disposait de réserves infinies. Le temps, c'est ce que nous surpeuplons à coups de précipitations inutiles façon lapin d'Alice au pays des merveilles, et on en oublie les merveilles, les vraies, qu'on a sous le nez. Alors pour une fois que du temps nous est offert, je ne boude pas mon plaisir, je savoure, seconde par seconde, ces journées bénies où je me sens libre. Encore plus que d'habitude...
Cette petite philosophie du quotidien, du carpe diem, du positif, me fait penser à José Alberto Mujica Cordano. Qui ça? Si vous ne le connaissez pas, il est temps de pallier cette lacune, car c'en est une. Pepe Mujica est un homme politique uruguayen, dont j'adorerais que nous en ayons une version française. Il est un cocktail où on mixerait, pour la tchatche, un zeste de Mélenchon sans égo (je sais, pas facile), une lamelle de Hugo Chavez cool (les réformes populaires sans l'autoritarisme), une pincée de Mandela (pour la détention au long cours et la fidélité à un idéal).
L'homme est intègre comme on n'imagine pas. Du côté des humbles, délibérément. Il est resté le même, entre l'époque où il fut prisonnier politique pendant douze ans, torturé sous la dictature, et celle qui le vit devenir Président de son pays de 2010 à 2015.
Pendant sa présidence,
- il a continué à vivre dans la petite maison de sa compagne Lucia Topolansky, militante elle aussi, avec une carrière indépendante de celle de son mari, vice présidente de son pays depuis 2017.
- il ne touchait que 10% de son traitement de président, reversait le reste à un programme de logement social
- il a fait voter le mariage homo et la légalisation de l'avortement et du cannabis.
- il a toujours gardé sa vieille coccinelle Volkswagen, jamais utilisé les voitures officielles
- il a dit: "Nous venons au monde pour être heureux".
Et moi, quelqu'un qui dit ça, je ne peux que le vénérer.
Il a très récemment répondu à une interview espagnole, de Jordi Evole, sorte d'Elise Lucet transpyrénéen.
Je vous en traduis quelques passages, en vrac, parce que moi, ce type me fait du bien, j'espère qu'il vous en fera aussi.
"Cette mauvaise crise a au moins une vertu, celle d'attirer notre attention sur le fait que les problèmes des autres sont aussi les nôtres."
" Il faut combattre l'égoïsme que nous portons en nous. Les gouvernements ont sousestimé les difficultés, ont cru que c'était un truc de chinois, et maintenant ça nous touche tous".
"Cette petite bête a mis en évidence la foule de choses superflues que nous possédons. Nous avons pensé l'intérêt économique, pas le bonheur des gens".
"Nous naviguons sur un petit bateau qui s'appelle la Terre, où il semble que la globalisation n'existe que pour que le système financier accumule de l'argent, pour que la richesse se concentre et nous ne nous rendons plus compte qu'en réalité nous dépendons les uns des autres, que nous le voulions ou pas".
"Non, nous ne sommes pas en guerre, c'est la biologie qui nous défie pour nous rappeler que nous ne sommes pas tant les maîtres absolus du monde que nous aimons à le croire".
Il exprime sa déception vis-à-vis des leaders mondiaux pour leur inaction à freiner le réchauffement climatique:
"Ce n'est pas un problème écologique, c'est un problème politique. Jamais l'Homme n'a eu autant de ressources, de capacités, de capital. Nous allons vers un holocauste écologique, et ils préparent une gigantesque poêle pour nous faire frire."
Il s'irrite contre le système actuel:
"J'ignore dans quel but de merde il y a une poignée de vieux qui persistent à vouloir de plus en plus de fric. Pourquoi n'arrêtent-ils pas de faire chier? Ils vont mourir, comme n'importe quel pékin!"
Il met en cause le lien entre le marché et l'intérêt humain:
"Le dieu marché est la religion fanatique de notre époquL'exprésident a un message pour toutes les personnes confinées:
"La pire des solitudes est celle que nous portons en nous, il est temps de méditer. Parle à celui que tu as en toi, il est temps de méditer, de regarder le ciel par la fenêtre, et si tu n'en a pas, tu l'imagines".
Pour conclure, il affirme:
"Vivre signifie passer son temps à faire ce qui rend heureux. Tant que tu as une cause pour vivre et te battre, tu n'as pas le temps d'être désenchanté et de te laisser ronger par la tristesse".
"Il y a beaucoup de consommation inutile, mais il manque des choses élémentaires, comme garantir l'eau et un toit aux secteurs humbles de notre terre".
Mujica n'a de petit que sa maison, sa voiture et son intérêt pour l'argent et les honneurs. Le reste n'est que grandeur. Dans la simplicité, l'ambition, la rigueur. La vision du monde.
Ça nous change des blanc-becs insipides qui nous servent de
classe politique, serrés dans leur petit costard, étriqués dans leur esprit boutiquier, qui ne parlent que points de croissance et ne pensent que profit. Qui sont à la politique ce que le pissenlit est au baobab.
Mujica allume des arcs en ciel dans le confinement.
Il faudra penser à lui, après.
Espace commentaire
Chantal - Le 01/04/2020 à 09:02
Je ne croix pas avoir entendu parler de, ou lu, ce monsieur et je vous remercie beaucoup de ce texte. Merci de tous les autres aussi. Bonne journée.
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Isabelle Alonso - Le 01/04/2020 à 10:05
S'il ne tenait qu'à moi, Mujica aurait le Prix Nobel! Et il s'en foutrait, mais pas moi!
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