J’ai écrit le texte précédent (https://www.isabelle-alonso.com/articles-1/gerard-miller-401) alors que le magazine Elle signalait trois femmes dénonçant Gérard Miller. Je l’ai publié en même temps que celui de Mediapart, que je n’avais pas encore lu et qui en signalait une dizaine. D’après le Monde, on en est à une cinquantaine. Effet d’accumulation, de déjà-vu. Et alors ? Et alors Gérard est dans de sales draps. Il s’y est mis lui-même.
Toutes ces jeunes femmes ont gardé pour elles ou leur très proche entourage, depuis des années, une plaie ouverte. Elles ont toute ma solidarité. Tout mon soutien.
Depuis plusieurs jours, j’ai été contactée par des journalistes qui aimeraient recueillir mon témoignage, qualifié par eux de « très important ». Pourquoi important ? Selon elles, parce que je suis féministe. Au téléphone, l’une d’entre elles, faisant allusion à la phrase « On le chambrait souvent pour sa façon de repérer des jeunes filles dans le public et d’aller les brancher pendant les pauses » que j’ai écrite sur mon site, laisse échapper une impatience, une incrédulité : j’aurais vu des choses et n’en aurais tiré aucune conclusion ? Ça l’étonne, apparemment. Pourtant, c’est comme ça. Exactement. Et je me dis qu’elle ne manque pas d’air, la fille. Elle met en doute ma parole. Dans le contexte de confiance nouvelle en la parole des femmes, c’est croquignolet.
Autant dire que ça me confirme dans mon intention de ne confier ce que je pense qu’à mon blog.
Sur les réseaux, c’est l’insulte, direct. Un flot, une marée. Ce n’est pas que ça me surprenne, mais il y a des limites. Faudrait voir à pas chier dans les bégonias, aurait dit notre cher Siné. Non mais ça ne va pas, non ? Je vais pas me faire engueuler parce que je n’aurais pas su voir ? Voir ce qui aurait sauté aux yeux des multiples clairvoyants « déçu·es » par mon supposé manque de réactivité à l’époque ! C’est la meilleure ! Si des filles n’en portaient pas, à ce jour, le poids et les stigmates j’en rirais ! Manquez pas d’air, les haters.
C’est bien en tant que féministe, sur le tarmac depuis des décennies, depuis que j’étais en fac, que j’ai envie de réagir. Je parle en mon nom personnel. Être féministe sur le terrain, bien avant Metoo, c’était s’en prendre plein la gueule, tout le temps. Pendant des années, je l’ai accepté. Comme on accepte une règle d’un jeu dont les règles ont été fixées par autrui. J’étais en terrain ennemi, je le savais. Ça ne me posait pas de problème. Pourquoi ? Parce que le jeu en valait la chandelle. Parce que c’était important. Vital, même. Parce que quelle que soit l’agressivité ambiante que je me suis mangée dans les media pendant des années (agressivité contre mes idées, pas contre ma personne), j’y ai trouvé de précieuses compensations. Il m’arrive souvent que des femmes croisées par hasard me disent merci. Pour quelque chose que j’ai dit, un jour, dans une émission, et qui a causé un déclic dans leur esprit, qui leur a permis de prendre conscience, ou tout simplement qui leur a fait du bien. Et j’ai toujours pensé que ça compensait tout le reste.
Et si Metoo, aujourd’hui, permet à des filles agressées de parler haut et fort c’est parce que nous autres féministes avons inlassablement, depuis des années et des années, décrit, dénoncé et analysé les violences machistes. Nous avons manifesté notre révolte, avons écrit des livres. Avons pensé. Contre l’ordre patriarcal, la pornographie, le proxénétisme, la haine des femmes, etc. Aujourd’hui, alors que pendant des années et des années les media ont tiré à boulets rouges sur la moindre initiative féministe, alors que des femmes qui n’avaient jamais pipé mot pendant des décennies, qui se rangeaient sans états d’âme du côté des dominants se déclarent soudain féministes dans les média et sont immédiatement reconnues comme telles, alors que Léa Salamé, aussi féministe que je suis évêque, publie des catalogues de supposées femmes « puissantes », je me retrouve incendiée chez Hanouna par une pimprenelle, apparemment avocate d’une des plaignantes, qui déclare qu’à l’époque des émissions concernées (début des années 2000) il « y avait un embryon de défense des femmes ». Un embryon ? Et que « Alonso, chienne de garde, on se demande qui elle gardait ». Et ainsi de suite. Ce qu’elle appelle un embryon, c’était des luttes qui duraient depuis des décennies et qui ont eu pour résultat, aux Usa, ici et partout ailleurs, ce qui s’appelle aujourd’hui Metoo, et qui n’est que la suite de l’inlassable travail de sape mené par les féministes depuis toujours.
Avouons que la vie de féministe réserve bien des surprises. On ne s’ennuie pas une seconde !
L’ignorance crasse n’est pas une excuse. L’agressivité qui se trompe de cible non plus.
Celles et ceux qui se déclarent aujourd’hui « déçu·es », par mon manque de voyance extralucide et mon incapacité à discerner dans des déambulations parmi le public d’improbables scénarios feraient mieux de lire mes livres. Ça rangerait leur foutoir mental.
Mais ces gens-là, je m’en fous. Ce qui m’intéresse c’est ce qu’effectivement je n’ai pas vu, malgré mon attention. La pratique du féminisme c’est aussi la vigilance, et la mise à jour permanente des connaissances dans le domaine des mécanismes de domination et de perpétuation de l’ordre établi. Une réalité était là, et elle m’était imperceptible. Je me souviens avoir pensé : « Il va encore se prendre un râteau, Gérard » en le voyant, sans l’entendre, faire le joli cœur. J’avais l’impression d’assister à une tentative un peu pathétique. Ce n’est pas faire injure à Gérard que de dire qu’il n’a rien d’un Adonis. Je n’avais pas conscience qu’il ne s’agissait éventuellement que de l’acte un d’une pièce dont la suite allait se situer ailleurs. Nous passons notre vie à côtoyer le malheur, un malheur dont nous connaissons l’existence théorique mais que pourtant nous sommes incapables de discerner au quotidien. Un exemple me vient à l’esprit. J’ai appris avec stupeur, il y a quelques mois, les chiffres insensés de la violence contre les enfants, aujourd’hui, en France, dans leur famille. Plus élevés que les féminicides. J’ai toujours su que ça existe, les enfants maltraités. Mais si nombreux ? Non. Vraiment. Je ne m’en doutais pas. Impossible. Ainsi nous vivons parmi des violences extrêmes que nous ne voyons ni n’entendons. Nous lisons des articles, nous voyons des reportages, mais ça se passe dans un monde qui nous est imperceptible.
Et quand nous la voyons, cette violence, que faisons-nous ? Par exemple, nous croisons tous les jours, dans leur évidente détresse, des SDF. Des mendiants, dans le métro. Ça devrait nous être intolérable. Mais nous donnons une pièce, achetons un sandwich, accordons un regard ou un sourire, et passons notre chemin.
Combien de mondes parallèles se côtoient-ils sans se voir pour que la société se maintienne en état de marche ? Parallèles et intimes, en ce qui nous concerne. Nous sommes une écrasante majorité de femmes, à avoir subi, un jour ou l’autre, une agression sexuelle certes de gravité variable, mais agression quand même. Ce qui me mène à considérer qu’une grande partie des hommes qui partagent notre quotidien dans la rue, au travail, en cours, en voyage, en vacances, à la maison, et dans notre propre lit, ont agressé une femme, ou plusieurs. L’agressée panse ses plaies en silence, car à émettre un son elle risque d’y laisser des plumes supplémentaires. Elle ne peut pas se permettre une humiliation de plus. L’agresseur se rajuste, satisfait d’être un séducteur qui sait s’y prendre. Elle se tait. Il ne s’en rend même pas compte. Il est content. Et aime à croire qu’elle l’est aussi. Ça peut durer comme ça jusqu’à la fin des temps, vu que ça dure comme ça depuis la nuit des temps.
Dans ce constat d’impunité, les multirécidivistes sont légion, forcément. C’était encore plus vrai avant, quand le concept même d’impunité n’avait pas encore été mis en avant par les féministes. Mais aujourd’hui et maintenant nous vivons parmi des Gérards de toutes sortes, et pas seulement des hommes connus, pas seulement des patrons, pas seulement des hommes de pouvoir. Toutes sortes d’hommes, aussi variés que les femmes agressées.
A qui profite le silence ? Pas aux victimes.
Le silence nait aussi du vacarme qui peut opportunément servir de couverture. Nous vivons dans un perpétuel tintamarre, qui couvre les sanglots des coulisses. Les media passent d’une vedette à l’autre, d’un nom à l’autre, mettent une délectation voyeuriste à faire l’inventaire des circonstances de chaque épisode. Dommage qu’à ce jour, je n’ai pas encore constaté la même minutie à mettre à jour les rouages du système. La force, l’efficacité des mécanismes qui permettent à la violence de nuire en silence, de détruire à bas bruit, restent pérennes. Seules les féministes font ce travail de déconstruction. Mais ça passionne moins les média.
J’assiste à ce déferlement sur les réseaux en me disant qu’il sera de courte durée. Ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Je commence à être bien costaude, je vous le dis.
Espace commentaire
Angèle - Le 29/02/2024 à 22:17
Chère Isabelle Merci pour tous ces écrits, participations actives à la sensibilisation sur les discriminations auprès des scolaires et de publics lors de conférences et le spectacle « et encore je m’retiens »… ça fait des décennies de prises de positions en faveur des droits des femmes… je m’en suis nourri…elles nous étaient nécessaires à nous « les sans voix » alors aujourd’hui je réitère mes remerciements pour avoir été de celles qui nous ont rendu plus fortes…toute mon affection Angèle
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Isabelle Alonso - Le 01/03/2024 à 12:05
Merci!
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Clément - Le 29/02/2024 à 23:01
J'ai rencontré Isabelle Alonso lors d'un salon du livre, il y a quelques années. Nous avons eu une discussion assez vive sur le féminisme mais je me suis dit lors de notre débat : "Elle est vraiment comme à la télé. Elle ne triche pas". J'ai été impressionné par sa pugnacité, sa force de conviction, son talent de débatteuse.... Un vrai bulldozer, impressionnant ! A tous ceux qui pensent qu'Isabelle Alonso est une opportuniste ou une féministe à géométrie variable, je peux vous assurer que c'est faux ! Clément
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Isabelle Alonso - Le 01/03/2024 à 12:06
Merci, Clément.
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Jérôme Sulim - Le 03/03/2024 à 16:26
Allez chez Hanouna comme avocate d'une plaignante , mieux vaut changer d'avocat.
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Jenny - Le 09/03/2024 à 13:49
"Dommage qu’à ce jour, je n’ai pas encore constaté la même minutie à mettre à jour les rouages du système. La force, l’efficacité des mécanismes qui permettent à la violence de nuire en silence, de détruire à bas bruit, restent pérennes. Seules les féministes font ce travail de déconstruction." Mon Dieu mais que vous visez juste ! C'est comme ça dans absolument tous les domaines. Je vois les activistes, les vrais, faire le travail de fond laborieux, silencieux et ingrat requis dans toutes luttes pendant que les médias se contentent de balancer des affaires une fois de temps en temps... Qu'on reprochera aux militants de ne pas avoir su empêcher. C'est le monde à l'envers. Vous faites parties des militantes qui m'ont marquées et qui m'ont permis de développer une conscience féministe solide. Votre travail n'est pas vain, soyez en sûre.
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Isabelle Alonso - Le 11/03/2024 à 12:11
Merci Jenny. Pour ce que vous me dîtes et pour ce que vous paraissez être à travers vos mots. Notre force vient de notre conscience d'avoir raison. Sororalement à vous.
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Virginie Caillé-Bastide - Le 22/03/2024 à 18:46
Ainsi donc, en pleine affaire Gérard Miller, Isabelle Alonso se prend un torrent de pus sur les réseaux sociaux. J'ai lu la plupart des commentaires et j'ai été édifiée. Ses plus virulents et "courageux" détracteurs, bien à l'abri derrière leurs pauvres pseudos, y déversent toute leur aigreur. Isabelle Alonso est depuis des années de tous les combats féministes, mais pas que. Elle en a toujours pris plein la gueule, mais cela ne l'a jamais empêchée de continuer à se battre encore et encore. Elle a toute mon estime, elle est mon amie, mais si elle ne l'était pas, j'aurais écrit la même chose, n'en déplaise aux corbeaux de ce jour.
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Isabelle Alonso - Le 22/03/2024 à 18:59
Merci Virginie!
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Angel - Le 12/07/2024 à 21:24
On tire sur l'ambulance ! Elles se trompent de cible et se tirent une balle dans le pied. Quel dommage. Cela fait malheureusement l'affaire du patriarcat, encore une fois. C'est terrible. La menace ce sont les hommes, pas tous les hommes bien sûr mais ce ne sont que des hommes qui violent des femmes. Je me souviens encore d'avoir dit à mon père, alors adolescente, qui refusait que j'aille à une boom car il y avait des garçons et que ce n'était pas sécuritaire pour moi, de parler à leurs parents et de leur demander qu'ils viennent les surveiller eux ou qu'ils les empêchent d'y aller, pour que nous, les filles puissions profiter de la fête en toute tranquillité. Je vous apprécie beaucoup Isabelle. Vous n'êtes pas parfaite et d'ailleurs qui exigerait que vous le soyez quand, de l'autre côté c'est l'imperfection qui est exploitée. Quel culot. Ne vous laisser pas faire, jamais. Continuer de parler.
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