Pour tout vous dire, je n’y croyais pas trop. Je n’aurais pas parié un kopek, malgré mon optimisme naturel, sur une alliance de la gauche aux législatives. Et voilà que c’est en train d’arriver ! Joie ! Nous assistons à l’Histoire en train de se faire.
Attention, rien n’est gagné, loin de là. Mais rien ne nous enlèvera ce que nous avons kiffé pendant ces quelques jours. Bien malin qui peut dire ce que ça va donner, mais pour l’instant, on profite ! Depuis quinze jours on n’a pas revu Z. et à peine LePen. Quant à Macron, il a manifestement adopté une stratégie de type wait and see. Toujours ça de pris.
À gauche, les élections donnent très rarement des occasions de se réjouir. Ça serait même plutôt le contraire. Nous ne comptons plus les soirées électorales affligées, les entre-tours décevants et les perspectives anéanties. Alors qu’il nous soit permis de nous réjouir de ce sursaut, de ce sens des responsabilités, de cette idée de génie, qui ont abouti à l'union pour les législatives.
La droite, elle, gagne tellement tout le temps qu’elle a fini par considérer que la victoire lui revient de droit. C’est sa maison, son domaine, son home sweet home. Elle a pris des habitudes. Surtout si on considère que parfois une victoire apparente de la gauche (« mon ennemi c’est la finance ») donne lieu à des politiques de droite, façon lois travail ou fermeture des lits d’hôpital. Elle a le sens de ses intérêts plus que de la démocratie. Que la gauche marque ne serait-ce qu’un point, et la voilà toute déstabilisée.
Quouâââ ? La gauche unie ? Ils en sont malades. Scandalisés. Terrifiés à l’idée qu’il faille arrêter de privatiser à tour de bras, soit franchement (services publics vendus à la découpe) soit à la sournoise (cabinets conseils pompant l’argent public). Les réacs de tout poil, néo-conservateurs (mal déguisés en éditorialistes de gauche pour certains) déclenchent le rouleau compresseur idéologique. Tir groupé contre la gauche. Un délire :
Raphaël Enthoven : « L’abjecte « France Insoumise » aura quand même accompli le tour de force d’imiter l’extrême-droite, de reprendre ses codes, ses manières, son lexique, et de lui donner un coup de main en s’abstenant face à elle, tout en poussant des islamistes à l’Assemblée » « UE, OTAN, Syrie, Russie, gilets jaunes, vaccins, oligarchie, populisme, mépris de la constitution… L’avenir de LFI est dans l’alliance avec le RN, plutôt que dans une OPA sur la gauche dont les autres membres doivent renoncer à leur identité pour gratter quelques circos ».
Eric Naulleau : « PS signifie désormais parti soumis. Tous ceux qui se réclament d’une gauche authentique, laïque, républicaine et anti-totalitaire, c’est-à-dire l’exact opposé de LFI, doivent entrer en résistance ».
Elisabeth Lévy : « J’en veux beaucoup aux électeurs de gauche. Les questions de principes ils s’en foutent. Ce qu'ils veulent, c'est l'union pour gagner. »
Patrick Cohen : « Le PS a tout oublié de ce qui le séparait de LFI : république, laïcité, sérieux budgétaire, engagement européen, soutien militaire à l’Ukraine… »
Franz Olivier Giesbert : « Jean Luc Mélenchon, ce n’est pas un homme de gauche, c’est une farce sémantique, il est d’extrême gauche » `
Alain Duhamel : « Le problème de Mélenchon, c’est son programme »
Bernard-Henri Lévy : « Avec cet accord Insoumis/Socialistes, c’est Chavez qu’on accorde avec Jaurès. Poutine avec Léon Blum. Et voilà bradé pour un plat de lentilles (une poignée de circonscriptions) tout le patient travail de la gauche depuis cinquante ans pour conjurer sa tentation totalitaire. Navrant ». « Mélenchon est insoumis sauf devant les tyrans. Il est insoumis partout sauf face à Chavez ou à Poutine ».
Ça ne sent pas trop la sérénité, hein ?
Éternel deux poids, deux mesures. Un brin indigne. L'alliance à gauche, c'est de la soumission. A droite, c'est de l'ouverture. On vilipende Mélenchon pour avoir dit du bien de Chavez ou de Correa. Mais silence radio quand Macron et ses prédécesseurs reçoivent des dictateurs de la terre et leur vendent des armes sans états d’âme. Qui est soumis ? Et à quoi ?
Les laquais habituels ressortent les épouvantails les plus classiques, resucées du coco de jadis, couteau entre les dents, dévoreur d'enfants et étripeur de curés. A les entendre, cette gauche qui s’unit serait anti-européenne, comme si une seule Europe était possible. Pro-Poutine, comme si on ne pouvait pas être anti-Poutine tout en refusant de considérer le peuple russe comme un ennemi. Et islamo-gauchiste par-dessus le marché, alors que c’est la gauche qui a inventé notre précieuse laïcité. On serait anti-progrès, comme si la modernité allait de pair avec l’anéantissement de l’État et des services publics. Une droite qui n’ose même pas dire son nom crie au loup alors que le danger, c’est elle. Plus la gauche sera forte et plus elle sera harcelée par ces frelons furieux.
Ça serait comique si ça ne montrait pas un tel dédain pour les valeurs qui sont les nôtres et qui ont valu au pays les lois sociales (sécu, congés payés, retraite, divorce, contraception, avortement, etc….) dont tout le monde, y compris eux, bénéficie aujourd’hui. N’oublions pas que chacune de ces avancées donna lieu à des attaques similaires, voire pires, à celles d’aujourd’hui. Je crois que c’est ça, la haine de classe. Pas beau à voir.
La NUPES les inquiète. Moi, elle me rassure. Sa seule existence est jouissive en soi. Si elle parvient à une majorité suffisante elle mettra fin à une politique que j’exècre et c’est déjà énorme. Et j’ai l’espoir d’assister à des initiatives qui améliorent la vie des gens. Qui remettront l’humain au cœur des préoccupations, au lieu du tiroir-caisse. Qui joueront la coopération, le partage, l’entraide, plutôt que la compétition et l’exclusion. C’est ça, être de gauche. Il y a tant à faire pour que la France éclaire de nouveau le monde.
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Blanc limé - Le 08/05/2022 à 14:52
Je dois dire que je suis abasourdi à la lecture de ces citations. Par leur violence, leur incroyable malhonnêteté intellectuelle, ces sycophantes se permettent le luxe de donner à la gauche des leçons quant à ce qu'elle doit être, foutre ! Naulleau, pète un coup, t'es pas de gauche, alors quoi, pourquoi faire semblant. Quant à Enthoven et BHL, ça vaut même pas la peine de réfuter une telle outrance. Enfin, pour résumer, ce qui différencie la gauche de la droite, je dirai que c'est le partage plutôt que le podium
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Blanc limé - Le 08/05/2022 à 14:57
Ne manquez pas l'excellente chronique du non moins excellent et recommandable Thomas Piketty dans Le Monde daté 8-9 mai, où il analyse le programme de la NUPES - à mettre entre toutes les mains
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